Lundi 18 mars
Dans son ouvrage Man, Oh Man : Writing Quality M/M Fiction (2de édition, 2013), l’autrice américaine Josh Lanyon écrit ceci :
« So listen up, guys and dolls. You can include realistic, unorthodox characters from the rainbow spectrum of gay life, but your best choice is to relegate them to supporting cast. »
N’oublions jamais que l’impératif commercial renforce le statuquo et le manque de diversité. Par défaut, la romance MM n’est pas l’alliée des LGBTQ+, à moins qu’il y ait un avantage commercial à le devenir. C’est un phénomène que l’on retrouve aussi dans le BL thaïlandais.
De plus en plus, nous autres wokistes faisons pression pour que ce genre de cynisme commercial ait, au moins, la décence de se cacher.
Ceci dit, aussi rageant que cela puisse être, Josh Lanyon a certainement raison : quand on veut vendre le plus possible, on doit faire les choix qui s’imposent et essayer de plaire à la majorité. Après tout, le MM n’est pas de la littérature queer, c’est de la romance.
Mardi 19 mars
L’autre jour, j’ai commencé Fille de l’Empire de Raymond E. Feist et de Janny Wurst, dans la traduction française d’Anne Vétillard.
J’ai l’impression de retourner à mon adolescence. Feist est l’un des premiers écrivains, avec Mercedes Lackey, à m’avoir fait aimer non seulement les littératures de l’imaginaire mais aussi la lecture. Grâce à eux, je suis devenu un lecteur vorace, puis, presque immédiatement, j’ai voulu devenir écrivain : la richesse des mondes qu’ils dépeignaient et la langue dans laquelle c’était écrit/traduit m’émerveillaient.
Vingt-trois ans plus tard, je lis trop peu de fantasy, je lis trop peu en français, mais l’admiration demeure intacte : l’écrivain en moi continue à lire ces paragraphes et à se demander comment ils ont fait pour les écrire. Évidemment, mon gout a évolué (et le monde autour de moi, pareillement), mais en lisant Fille de l’Empire, je me surprends à retrouver mes ambitions de jeunesse.
Publiée en 1987, l’histoire n’a pas trop mal vieilli… (comme moi — nous avons le même âge !) Peut-être parce que l’inspiration de ce monde secondaire n’est pas le moyen-âge occidental. On reste dans la période médiévale (c’est de la fantasy des années 1980, après tout), mais c’est du côté de l’Asie que Feist et Wurst se tournent.
Mercredi 20 mars
Vivre avec un cerveau qui passe d’une obsession à une autre, c’est fatigant. Cela fait quelques semaines que j’ai envie d’écrire des méditations, sur le modèle de Marc Aurèle… Non pas sur le stoïcisme, mais avec le pronom « tu » (puisqu’il s’adresse à lui-même).
Je trouve cette forme sincère, plus sincère que ces écrits où l’on donne des conseils de développement personnel à ses lecteurs, comme si l’auteurice possédait toute la sagesse du monde. (Spoiler alert: they don’t.)
Dans Un savoir gai, William Marx reprend aussi le pronom tu pour son abécédaire, et ça fonctionne très bien. (Je serais tenté de couvrir ce qu’il n’a pas couvert : la culture populaire). Ce tu est complexe, car c’est tout aussi bien l’auteur que le lecteur — cette ambigüité familière est intéressante.
À mes yeux, toute aventure littéraire se doit d’être sincère et honnête. Je ne pourrais pas démarrer un projet si j’avais l’impression de mentir ou de ne pas être en adéquation avec mes valeurs. Même la fiction, qui ne raconte pas nécessairement la réalité, se doit de dire la vérité.
Jeudi 21 mars
« Le problème, bien sûr, c’est que la vente de livres n’est pas une science exacte. Ce n’est pas parce que vos livres sont bien commercialisés, ou que vos publicités sont efficaces, ou même que vos histoires sont bien écrites que vous vendrez. Surtout pas dans le marché saturé dans lequel nous vivons.
Oui, vous vous donnez plus de chances si vous faites du marketing “correctement” pour ainsi dire, ou si vous avez des pratiques de publication intelligentes, ou un bon thème ou une bonne accroche, etc. Oui, vous vous donnez de meilleures chances. Mais cela reste une chance. Ce n’est pas une garantie. » (Becca Syme, newsletter du 19 mars 2024, trad. DeepL & E. Daumier)
Une pensée me vient spontanément : « à quoi bon, dans ce cas ? Pourquoi se donner tant de peine ?»
Voilà le type de murmure insidieux dont il faut se méfier… car ces questions, que l’on peut appliquer à tout dans la vie, nous immobilisent si bien qu’on finit par ne jamais réaliser ni ses rêves ni ses ambitions.
Vendredi 22 mars
J’ai besoin d’écrire de la fiction pour m’ancrer dans les détails d’une vie quotidienne, celle de mes personnages, qu’ils habitent notre société désenchantée du XXIe siècle ou un monde secondaire de fantasy ou de SF.
Mon problème : j’intellectualise tout ; je théorise sans cesse, si bien que mes pensées courent le risque de pousser hors-sol.
Je veux bien avoir la tête dans les nuages, mais je tiens à garder les pieds dans le terreau fertile de la réalité.
La fiction est le domaine des émotions, où un autre mode de réflexion se développe : celui de l’intuition, des symboles, des juxtapositions, des associations poétiques. Le Guin disait que la fiction lui permettait de réfléchir : c’était le mode qu’elle utilisait naturellement pour répondre à ses questions. Je ne sais pas si c’est mon cas, mais je me trouve plus équilibré quand je m’exprime à travers une histoire… comme si j’utilisais toute la panoplie qui était à ma disposition pour vivre mes interrogations.
Samedi 23 mars
Se concentrer sur le processus créatif, apprendre à aimer ses hauts et ses bas, plutôt que de se focaliser (se crisper) sur sa finalité, voilà, me semble-t-il, la clé du succès.
Et par « succès », j’entends : la satisfaction d’une vie bien menée.
Dimanche 24 mars
En ce moment, je retrouve les pensées qui m’animaient il y a quelques années et qui me permettaient de lutter contre un perfectionnisme paralysant : assouplis tes exigences ; tu n’as pas besoin de répondre à toutes tes questions avant de t’autoriser à passer à l’action ; mal faire, c’est mieux que de ne rien faire du tout ; l’échec ne réside pas dans l’erreur mais dans la procrastination sans fin.