Journal de février 2024

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La version intégrale (fautes et anglicismes inclus) est disponible dans mon jardin numérique, Sylves. La publication s’y fait au jour le jour. J’applique ici l’orthographe rectifiée.

Bonne lecture – Enzo.


Jeudi 01 février

Par principe, on devrait être suspicieux d’un enseignement qui se base sur la révélation d’un secret. 

Même s’il est vrai que tout enseignement révèle ce que l’étudiant ignorait jusqu’alors. Le Maitre lève le voile de l’ignorance — il partage ses connaissances.

*

L’ésotérisme est élitiste : son enseignement est réservé à des happy few. Il ne doit surtout pas être transmis aux masses, affirme-t-on, car elles sont incapables de comprendre sa valeur. L’expression qui semble revenir comme un leitmotiv : Margaritas ante porcos, comme disaient les Romains, c’est-à-dire donner de la confiture (ou des perles) aux cochons.

Vendredi 02 février

Au sujet des réseaux sociaux :

« Ceux en haut de la pyramide restent persuadés qu’ils doivent leur position à leur génie propre, alors qu’ils ne font qu’occuper une place qui doit nécessairement être occupée pour maintenir l’invariance d’échelle. » 

– Thierry Crouzet, Journal, janvier 2024

Samedi 03 février

Sur son site internet, A Working Library, Mandy Brown résume la vision très intéressante que lui inspire l’expression idiomatique « I (don’t) give a fuck » (se foutre ou non de quelque chose). 

Selon elle, nous avons un nombre limité de « fucks » à donner, et si on les distribue sans compter, on finit par se retrouver sans rien, à sec, avec un burn-out. 

Le seul moyen de reconstituer cette collection de fucks, c’est d’avoir des gens autour de nous pour nous en donner, c’est-à-dire pour prendre soin de nous, pour nous accorder leur attention ou leur amour. Elle rappelle que seuls les êtres vivants sont capables de « donner des fucks ». C’est donc stupide d’aimer son travail, car celui-ci ne nous aimera jamais en retour. Un travail est un travail. Seul ce qui est en vie mérite qu’on s’investisse émotionnellement. On peut donc s’inquiéter pour un collègue, oui, mais pas pour son boulot.

« Give a fuck about yourself, about your own wild and tender spirit, about your peace and especially about your art. »

Dimanche 04 février

Écrire un essai demande des qualités d’expression auxquelles on réfléchit assez peu au final. 

Il y a quelques années, j’ai été impressionné par les livres de Yuval Noah Harari (Sapiens et Homo Deus) : cet auteur israélien était capable d’exprimer une idée avec clarté et de sélectionner les meilleurs exemples pour que son lectorat non seulement comprenne mais prenne aussi plaisir à l’exposé.

Hier, en lisant quelques chapitres de Metahuman (2019) de Deepak Chopra, j’ai eu la même impression d’habileté narrative. En quelques pages, on comprend pourquoi il est une des figures les plus importantes du mouvement New Age contemporain. Peu importe la véracité de ses dires ou la solidité de son argumentaire, sa rhétorique est efficace. We get him. (1)

D’une certaine manière, son essai se lit comme un roman. D’ailleurs, je pense que toute œuvre de pensée, ce que les anglophones nomment « non-fiction », devrait se lire comme un roman. Même une pensée fausse peut être intéressante et stimulante… L’erreur est de croire qu’une pensée correcte ou vraie se suffit à elle-même et n’a pas besoin des artifices de la rhétorique pour exister. Que la logique nue peut triompher de tout. 

À l’heure où la désinformation est un véritable fléau sur les réseaux sociaux, il est temps de tirer les conclusions qui s’imposent : l’esprit humain se fiche de la vérité, seules lui importent les belles fictions.

  1. Il est intéressant de noter qu’Harari et Chopra pratiquent tous les deux la méditation. Peut-être que la clarté de leur pensée découle de cette pratique quotidienne qui enrichit leur écriture.