Journal de février 2024

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Lundi 05 février

Durant le weekend, j’ai réfléchi à mon « ideal self » et j’ai pris conscience qu’il y a des domaines dans lesquels je ne donne pas le meilleur de moi-même. 

Par exemple, c’est le cas de ma pratique artistique où, ces dernières années, j’ai fait preuve de complaisance. Ou plutôt, j’ai étouffé toute ambition que je pouvais avoir, au point que c’est un rêve auquel je ne crois plus beaucoup. 

Peu importe les raisons au final, ce constat m’a refroidi : je ne donne pas le meilleur de moi-même, je n’agis pas dans l’intérêt de mon Art… 

Les excuses que je me répète sont parfois valables, comme la nécessité de ne pas se mettre la pression (surtout quand l’écriture est une activité secondaire et qu’il faut travailler pour payer ses factures). Mais il doit exister un juste milieu entre une pratique tyrannique et forcée, qui nous fait frôler le burn-out, et une pratique assidue mais harmonieuse, qui recharge nos batteries créatrices et nous épanouit.

Mardi 06 février

La notice biographique de Li Ching-Yuen (李清云), un herboriste mort en 1933, se lit davantage comme un roman : il affirmait être né en 1736 (d’autres l’ont fait naitre même plus tôt encore en 1677). Les Chinois ont expliqué sa longévité par sa pratique du qi gong et sa connaissance des plantes… et les amateurs de fantasy chinoise reconnaitront en lui la figure de l’immortel taoïste, celui qui est capable de cultiver son qi et de vivre plusieurs siècles (l’immortel taoïste n’est pas immortel au sens occidental du terme). 

Une photo de 1927 le montre assis sur une chaise basse avec les ongles de la main droite mesurant facilement quinze centimètres. Sa taille était aussi remarquable que son grand âge : il faisait, dit-on, plus de deux mètres…

Son âge exceptionnel n’était pas un secret : on a retrouvé des documents impériaux le félicitant pour ses cent-cinquantième et deux-centième anniversaires. Les anciens de son village affirmaient qu’il était déjà d’âge mûr quand leurs grands-pères étaient enfants. 

Sa mort est aussi mystérieuse que le reste de sa vie… Sa 24ème femme et ses disciples affirmèrent qu’il était mort dans la nature, sans offrir davantage de détails sur le lieu ni le moment précis. 

Un article du Time, publié au moment de sa mort (officielle) en mai 1933, cite la réponse de Li Ching-Yuen quand on lui demandait son secret : « Keep a quiet heart, sit like a tortoise, walk sprightly like a pigeon and sleep like a dog. »

Mercredi 07 février

Quelle est notre part de responsabilité dans ce qui nous arrive dans la vie ? Notre attitude détermine-t-elle notre existence ? À quel point influençons-nous le cours des évènements ?

Jeudi 08 février

J’ai écrit ma première microfiction de cinq-cents mots mardi. Je ne sais pas si le résultat est bon, mais ce n’est pas ce qui importe quand on démarre un tel projet. Le but est de comprendre le format dans lequel je vais écrire et de déterminer, par la pratique, ses possibilités. J’étais heureux d’avoir mis le pied à l’étriller. Commencer, c’est ce qu’il y a de plus dur.

Côté poésie, je ne parviens toujours pas à écrire un poème par jour… mais je m’accroche et je vais essayer de rattraper mon retard durant le weekend. Redémarrer la machine est plus difficile que je ne l’imaginais : le plus souvent, je regarde la page blanche en me demandant sur quel(s) sujet(s) je devrais composer mes vers (et si le vers est la forme la plus indiquée). Et il semble que je ne puisse écrire que sur le thème de la rupture amoureuse (moi qui n’en ai pas vécu depuis plus de dix ans). Nô est un poète émo.

Vendredi 09 février

Il a neigé hier. La dernière fois qu’il avait neigé à Sheffield, nous étions en Thaïlande. Ça avait duré plusieurs jours, parait-il.

J’aime la neige. Je pourrais passer des heures à la regarder tomber. Je suis à la fois calme et excité quand je vois des flocons recouvrir le sol. Le paysage change d’aspect, on se croirait ailleurs. Même la nuit devient lumineuse.

Ma collègue, elle, déteste la neige. Quelles en sont ses raisons ? Elle seule le sait. Elle ne les développe jamais, pas plus que je n’explique la paix enlevée que je ressens, cet état paradoxal d’apaisement et de tension. L’expérience d’autrui reste un mystère, c’est déjà bien assez d’essayer de comprendre la sienne.

Samedi 10 février

« Quant au conseil “écrivez ce que vous savez”, on me l’a souvent répété quand j’étais débutante. Je pense que c’est une bonne règle et je l’ai toujours suivie. J’écris sur des pays imaginaires, sur des sociétés aliens qui peuplent d’autres planètes, sur les dragons, les sorciers, la vallée de Napa en 22 002. Je connais tout cela. Je les connais bien mieux que n’importe qui d’autre, c’est donc mon devoir de témoigner à leur sujet. J’ai appris ces choses-là, comme j’ai appris à connaitre le cœur et l’esprit des êtres humains, en basant mon imagination sur mes observations. Comme tout romancier. Tout ce qu’il faut à cette règle, c’est une bonne définition du mot “savoir”. » (Ursula Le Guin, cité par Mike Grindle)

Dimanche 11 février

Il faut au corps entre dix et quinze années pour renouveler toutes ses cellules. Ce qui veut dire que la personne que j’étais en 2009 n’est pas la même que celle qui écrit cette entrée de journal aujourd’hui… Rien, pas une seule cellule ne demeure. Mon corps est un autre.

Et pourtant, mon « moi » est toujours là… Cette sensation d’être soi, même quand le corps a entièrement changé, demeure. 

Ma personnalité a évolué, mon égo (ce singe qui s’agite constamment dans mon esprit) désire de nouvelles choses et s’effraie pour d’autres motifs, mais il existe dans mon esprit un observateur pour ainsi dire éternel, immuable, qui ne semble pas soumis au passage du temps… Âme ou conscience, peu importe comment on souhaite l’appeler (ou ne pas l’appeler, si on ne croit pas en son existence), le « je suis » est toujours là, à l’identique, même quand chaque parcelle du corps qu’il habite a été changée.