Lundi 26 juin
Mon amour des littératures de l’imaginaire s’explique en partie par mon affinité pour l’ésotérisme et le surnaturel. Je suis bien trop cartésien pour y croire, mais je trouve ces sujets attrayants, comme on aimerait une métaphore poétique qui embellit un réel désenchanté. Puisque j’écris de la fantasy, je peux lire sur les croyances les plus extravagantes sans avoir l’impression que je perds mon temps avec des balivernes : je fais de la recherche, moi, madame ; je nourris mon inspiration ; que du sérieux !
Mardi 27 juin
Je ne crois pas aux Muses, à l’inspiration divine, ou à toute autre entité supérieure qui téléchargerait des idées dans notre cerveau. Chez moi, il n’y a pas de révélations qui viennent de l’extérieur. Je crois fermement que cette inspiration, même si elle est mystérieuse, trouve son origine dans notre cerveau. Notre matière grise réarrange les matériaux qu’elle glane au quotidien dans nos rencontres, nos discussions et nos lectures : le résultat ressemble parfois à de l’or, parfois à de la boue (je vous épargne un terme plus vulgaire, mais vous avez compris l’idée). Que cet organe si petit, si fragile et si laid puisse imaginer des choses à ce point incroyables et merveilleuses, c’est certainement un miracle… mais je n’éprouve pas le besoin de dissocier cette capacité de qui je suis… ni de m’imaginer en parabole qui capterait des signaux étranges venus des cieux.
Mercredi 28 juin
Parfois, j’aimerais disparaitre de la surface du monde. Ou plutôt, je voudrais me retirer, ne plus faire partie du milieu des auteurices…
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Je lis un roman, comme il en existe tant d’autres, je m’extasie d’une trouvaille stylistique ou de la profondeur psychologique d’un personnage, puis je me trouve tellement nul que la seule conclusion qui s’impose est de discrètement quitter cette république des lettres où je n’ai pas ma place.
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Ces pensées-impressions sont fausses, je le sais, ou tout du moins exagérées. Il ne faudrait pas les écouter… mais leur travail de sape est inévitable. Je me démoralise tout seul.
Puisque je suis médiocre et que tout le monde semble faire mieux que moi, et avec davantage de facilité, je décide donc que je n’écrirai plus.
Je jure mes grands dieux que l’arrêt est définitif et qu’on ne m’y reprendra plus…
Mais je finis par revenir par la porte de derrière, l’air de rien.
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Où étais-tu, Daumier ?
J’étais aux toilettes. Je dois être constipé.
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Qu’est-ce qui me pousse à me dédire ainsi ?
Je finis par me rappeler que si je laisse ma place, je la donne à un·e auteurice aux valeurs détestables… que mon silence facilite la prise de parole d’un·e abruti·e qui ne sait pas s’exprimer et qui va saccager les genres que j’aime.
En refusant d’assumer mon rôle, en ne faisant pas entendre ma voix, je deviens coupable de leurs crimes.
In-ad-mis-si-ble.
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Certes, les cadeaux que je peux offrir au monde sont certainement médiocres, mais il est hors de question que le vide que je laisse soit rempli par des brigands analphabètes. (Non mais !)
Jeudi 29 juin
« Il accrocha son reflet dans le miroir. » (Lily Haime)
Quelle jolie trouvaille ! Elle ne me serait jamais venue à l’esprit… Je suis trop terre-à-terre pour marier les mots avec autant de bonheur.
Le mieux que je puisse espérer, c’est de m’en souvenir, oublier d’où elle provient, croire que je l’ai inventée et me délecter de mon génie pendant quelques secondes… puis passer à la phrase suivante, qui sera terne comme le ciel de Sheffield.
Quelle plaie d’être une pie littéraire à la mémoire défaillante !
Vendredi 30 juin
Dans la romance M/M, le gout pour l’exotisme et la varietas est tel que de nombreux romans se passent à l’étranger, le plus souvent aux États-Unis (vive l’hégémonie culturelle américaine !). C’est ce que les auteurices et les lecteurices aiment. Iels veulent rêver ; iels ont besoin d’être dépaysé·es.
Au final, la production francophone n’est qu’un resucé de ce qui se fait dans l’anglophonie. Une littérature copycat.
Évidemment, il existe des romans de très bonne qualité, où l’auteurice est sensible aux différences culturelles et linguistiques… si bien que l’histoire est ancrée dans le lieu. Mais le plus souvent, ce sont des décors en carton-pâte. Pour faire style, on parsème le récit de mots étrangers, on étale sa maigre recherche, comme on le ferait avec de la confiture, et on cache mal son ignorance. Tout est superficiel.
Je suis le premier à vouloir être dépaysé ; je suis le premier à rêver d’aventures à l’autre bout du monde ; et si je m’écoutais, je serais le premier à en écrire. Mais si je plaçais mon personnage principal, issu d’une culture que je connais mal, dans un lieu que je n’ai pas visité, je deviendrais un charlatan de basse littérature (sans parler des problèmes d’appropriation culturelle — mais ne parlons pas d’appropriation dans le M/M, ça fait grincer les dents # OwnVoices).