Lundi 19 juin
Je me souviens d’un auteur publié chez Gallimard et invité au Lycée Charles-de-Gaulle à Londres, qui affirmait ne lire aucun auteur contemporain. Seulement des classiques.
Personne ne sera surpris si je précise qu’il écrivait de la littérature blanche : le genre réaliste, ce que les pompeux nomment « la littérature », la vraie (de préférence avec une majuscule), est le seul genre que je connaisse (avec, peut-être, la poésie) où les auteurices peuvent ouvertement afficher le mépris qu’iels éprouvent pour leurs pairs, où iels peuvent s’enorgueillir de ne pas être au courant de ce qui est écrit par leurs contemporain·es, comme si le seul dialogue important est celui qu’on entretenait avec les morts (le plus souvent des hommes, on notera).
Une littérature cultivée hors-sol, comme ces plants de tomates dans les grandes serres industrielles. Une littérature fade aussi ; moribonde certainement, mais prestigieuse, tellement prestigieuse que nous sommes aveuglé·es (ou du moins, le prétendons-nous) par ses ors. Mais derrière cette mystification, on s’aperçoit qu’il n’y a rien, nada, même pas du vent.
Il ne faut donc pas s’étonner si ces écrivains-là affirment depuis quelques générations que le roman est mort, tout en continuant d’en écrire. Je comprends leur malaise : ça ne doit pas être facile tous les jours d’écrire de la littérature zombie.
Mardi 20 juin
Quelle chance de vivre dans une période de l’humanité où l’information est devenue abondante… Nous ne dépendons plus de gardiens (les gatekeepers) pour décider de ce qui mérite d’être lu, vu, consommé. Nous pouvons remettre en cause ces âneries que l’on nous assénait et qui étaient présentées comme des vérités, une série de dogmes à suivre aveuglément.
Certes, c’est un peu devenu le bazar. On ne sait plus trop à quel saint se vouer. Tout se dilue tellement qu’on finit par croire que la vérité est relative, voire une mode qui change avec les saisons. Nous prenons conscience que nos certitudes reposent sur des fondations fragiles. Un boucan d’opinions contraires nous prend d’assaut constamment si bien qu’il est facile de se sentir comme une girouette en pleine tempête.
Mais nous avons maintenant la possibilité de découvrir ce que nous aimons vraiment, de développer nos échelles de valeurs en toute liberté, sans que nos gouts, par exemple, soient dictés par le milieu germanopratin ou toute autre élite parisienne (et londonienne, dans mon cas).
Mercredi 21 juin
J’ai, sous les yeux, punaisée sur mon panneau en liège, une liste de projets littéraires que j’avais établie avant la pandémie quand je m’ennuyais au boulot… 19 idées, réparties en 5 sections, allant de la romance contemporaine (quelques suites à Tendres Baisers et au Youtubeur) à l’uchronie, en passant par des recueils de poésie.
Je pense qu’aucun de ces projets ne verra le jour maintenant. Mais je garde la liste, par fidélité ou nostalgie, je ne sais. (Il faut dire aussi que je m’étais appliqué à la faire : elle est plaisante à regarder.)
Je pourrais en composer une nouvelle pour refléter qui je suis en 2023 et mes aspirations actuelles… mais, souhaitant être réaliste, je réduirais tout cela à une ou deux idées. Je ne voudrais pas me montrer trop gourmand ou me décevoir.
Jeudi 22 juin
Cela fait des années que Stéphane (@SeriesEater) me demande d’écrire une suite aux Chroniques de Dormeveille.
Plusieurs continuations possibles apparaissent sur cette vieille liste… J’avais même commencé à travailler sur un projet qui se passerait à Sheffield et où l’on retrouverait Louis, Roberta et Leigh, avec de nouveaux personnages (dont le demi-frère de Raiden).
Au final, la pandémie et ses confinements à répétition l’auront tué dans l’œuf. Ma tentative de m’approprier Sheffield, comme je l’avais fait avec Oxford, a échoué… et je n’ai plus eu envie de retenter le coup.
Je préfère maintenant retourner dans le monde imaginaire de mon adolescence et oublier que je vis en Brexitland.
Ces dernières années, mes gouts et mes aspirations ont évolué. Je suis certainement plus désabusé que je ne l’étais en 2019… et je ne suis plus celui qui a publié Dormeveille en 2017-18.
J’ai même déserté le milieu du M/M pour squatter celui du BL.
(Les mauvaises langues feront remarquer que le changement est minime : s’il s’agit encore et toujours d’hétéros à moitié à poil qui prétendent aimer d’autres mecs… En somme, le MM et le BL, c’est Tweedledum et Tweedledee avec des pecs et des abdos.)
Vendredi 23 juin
Le plus étrange dans l’orthographe rectifiée, c’est la disparition de certains accents circonflexes, comme dans gout. C’est évidemment une question d’habitude : plus on voit le mot ainsi dénudé, moins il choque. De toute manière, cet accent qui marque l’étymologie ne sert absolument à rien au quotidien : notre langue n’est pas un musée et ses locuteurs ne sont pas des conservateurs dont la mission serait de garder toutes les traces de son évolution.
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Tout comme l’économie, la langue sert la population qui l’utilise… et non l’inverse.
Elle doit s’adapter à nos besoins. Nous devons l’adapter à nos besoins.
C’est facile de fétichiser l’accent circonflexe, de le trouver poétique et élégant.
J’y suis moi-même attaché plus que de raison (et écrire ces mots sans sa présence me fait mal au cœur).
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Mais observons ce chapeau avec détachement : quand il ne permet pas de différencier deux mots à l’écrit (du/dû), à quoi sert-il, si ce n’est à renforcer l’insécurité linguistique que nous éprouvons tous au quotidien ? Combien d’heures passons-nous, dans notre jeunesse, à mémoriser ces verbes qui prennent un accent circonflexe (connaitre, paraitre, naitre, disparaitre, paitre, etc.) ? Quels bénéfices tirons-nous de sa présence dans nos vies, si ce n’est le plaisir mesquin que l’on éprouve quand on remarque que d’autres sont incapables de le maitriser ?
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Fierté élitiste, autosatisfaction, sadomasochisme (j’ai souffert donc tu souffriras)… autant de sentiments nobles qui justifient, à n’en pas douter, que l’on continue ce culte de l’accent circonflexe.
Samedi 24 juin
Hier, j’ai commencé la saison 2 de His Man, le dating show coréen. Je n’avais pas fini de regarder les dix premières minutes que mon obsession était déjà de retour : attendre une semaine avant le nouvel épisode, ça va être long.
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Je n’aime pas la téléréalité ; je ne supporte pas ces programmes où la bêtise humaine est montrée sous tous les angles au nom du divertissement. En Occident, les dating shows sont sexualisés à outrance : on enferme des hormones sur pattes dans un lieu clos et on voit combien de temps iels tiennent avant de se jeter dessus.
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Ce que j’aime avec His Man, c’est que cette émission nous ferait presque croire que seul l’amour intéresse les candidats. Ça ne parle jamais de sexe. D’ailleurs, dans la saison 1, on n’a jamais su qui était actif ou passif (ce qui serait impossible si nous regardions l’équivalent occidental, où la première tâche serait de déterminer les compatibilités horizontales). Les Coréens sont des prudes, certes, mais ils ne sont pas pour autant asexuels : les participants, comme les producteurs du show, ont donc caché cet aspect de l’expérience gay. C’était là toute la puissance de la première saison : en évacuant le sexe, les candidats ont dû se concentrer sur ce qu’ils ressentaient. Évidemment, peut-être que lorsqu’ils exprimaient leurs sentiments, ils communiquaient en réalité le désir qu’ils éprouvaient l’un pour l’autre… le « je t’aime » étant alors un code pour « baisons tout de suite (loin des caméras) ».
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J’admire aussi le courage des candidats : la Corée est encore un pays très conservateur où beaucoup de LGBTQ+ restent dans le placard, vivent dans l’ombre, dissimulés, à cause de la pression familiale et des discriminations quotidiennes. Certes, une majorité d’entre eux participe à l’émission pour développer leur profil (ne sont-ils pas tous des « influenceurs » qui aspirent à la célébrité ?)… mais ils le font avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête : à tout moment, ce coming-out public pourrait très bien se retourner contre eux et mettre fin à leur carrière.
C’est ce qui pourrait arriver à un des candidats de cette seconde saison : Kim Jeong Wook, connu sous son nom de scène Dabit. Ce chanteur-compositeur, qui a grandi aux États-Unis, mais qui est basé en Corée du Sud, a fait son coming-out hier, en même temps que la diffusion du premier épisode (qui a été tourné en janvier 2023). La pression est énorme (d’ailleurs, il va se retirer des réseaux sociaux pendant quelques jours pour prendre soin de lui) : tout coming-out est une mise en danger, mais c’est encore plus vrai quand notre carrière est dans la balance.
Pour Dabit, ce choix peut se résumer ainsi : make or break. Je comprends que ça puisse être un risque de trop et que certains préfèrent rester dans le placard.
Dimanche 25 juin
S’il y a deux termes qui me semblent inadaptés, ce sont bien les qualificatifs d’« actif » et de « passif » pour désigner les préférences insertives des homos. Wrong, wrong, wrong.
La version anglaise « top » et « bottom » est un tantinet meilleure : du moins, pour le « bottom », puisqu’elle décrit bien la zone où l’action se passe. Pour ce qui est du « top », à moins d’aimer la faire « à la papa » (n’est-ce pas, les autrices américaines de MM ?), c’est un terme mensonger : celui qui insère son pénis n’est pas nécessairement au-dessus de l’autre. (D’ailleurs, si on veut m’énerver en deux secondes, traduisons « top » par « celui du dessus » dans un roman. Autocombustion garantie.)
Les mots utilisés en français ont des relents de conservatisme hétéronormé : il y a l’homme, le vrai, celui qui fait tout le boulot, l’actif donc ; et il y a celui qui fait la femme, qui, sur le dos, se contente d’écarter les jambes (et de regarder l’horloge en espérant qu’on n’ira pas au-delà des cinq minutes règlementaires). Durant l’acte sexuel, « qui fait quoi à qui » n’est pas déterminé par « qui insère quoi dans qui ».
Un passif peut très bien baiser son actif. Rien ne l’empêche d’être dominateur sous les draps (ce sont les fameux « power bottoms » en anglais). Et si l’actif aime se mettre sur le dos et se laisser faire, grand bien lui fasse. Mais dans ce cas, qui est l’actif et qui est le passif ?
Un jour, il faudra que de nouvelles expressions soient utilisées pour qu’on se débarrasse des connotations que ces mots-là revêtent.
En attendant, comme Tata Vicky (@VickySaintAnge sur Twitter) aime à le répéter, le sexe ne se limite pas aux pratiques insertives, bon sang de bonsoir…
(Personnellement, je préfère rappeler que la troisième voie reste la meilleure : vers is da best.)