Tu peux trouver une version éditée de ce journal dans ma newsletter (Substack).
La version intégrale (fautes et anglicismes inclus) est disponible dans mon jardin numérique, Sylves. La publication s’y fait au jour le jour.
Bonne lecture – Enzo.
Lundi 29 mai
Quand je désire un autre homme, est-ce que je souhaite le mettre dans mon lit ou est-ce que je veux être à son image ? Suis-je un Zeus qui veut posséder l’objet amoureux ou suis-je un Narcisse qui rêve d’un reflet différent ?
Quand je soupire en regardant la photo d’un jeune et vigoureux acteur thaïlandais, mon regret s’explique-t-il par le fait que je ne coucherai jamais avec lui ou parce que je n’aurai jamais sa beauté ni son charme ?
Peut-être ne s’agit-il que d’une question d’intensité… L’alpha et l’oméga du désir homosexuel : pénétrer l’autre (ou être pénétré par l’autre) au point de devenir lui.
Être en lui pour être lui.
Mardi 30 mai
Musée de Manchester — Exposition temporaire et gratuite sur les momies (Golden Mummies of Egypt)
Découverte de ce musée qui dépend de l’Université de Manchester. La collection est variée, de l’Égypte aux sciences naturelles. Ce musée (certain·es le qualifieraient de woke, n’en doutons pas) établit de nombreux liens entre les objets du passé et le présent, avec une mise en scène très originale. Il discute colonialisme et racisme, nature et crise environnementale.
Comme dans tous les musées de petite taille, l’attention peut se poser tranquillement sur un objet et le regarder dans le détail. Ici, ce n’est pas le Louvre ou le British Museum, ça ne déborde pas dans tous les coins.
J’ai été ému par les biographies-témoignages que l’on trouve dans la Lee Kai Hung Chinese Culture Gallery. Elles nous font entrevoir la vie d’émigrés à Manchester ou, inversement, de Mancuniens en Chine/Hong Kong au XXe et au XXIe siècle. On trouve des témoignages d’amitiés et d’entraide inattendues au milieu d’antiquités chinoises : l’agencement est thématique plutôt que chronologique ; ça m’a donné une impression de profondeur.
Quant à l’exposition temporaire, les ors de l’Égypte me fascinent encore. Pendant quelques minutes, devant ces témoignages d’éternité, j’y ai rêvé d’histoires qui se passeraient durant la période hellénistique ou romaine (mais que je n’écrirai certainement jamais). J’ai déchiffré quelques papyrus en grec (ou essayé en tout cas !) : ça m’a rappelé ce semestre de licence à la Sorbonne. C’est parfois agréable de se rappeler ses passions de jeunesse.
Vendredi 2 juin
Je mesure à quel point il est confortable pour moi de n’avoir pas à penser à ma sexualité tous les jours. Je suis libre d’être gay et j’évolue dans un environnement où je n’ai rien à cacher.
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Le sentiment de honte a disparu du devant de la scène (je sais qu’il demeure, caché, et influence mes réactions de manière parfois pernicieuse, mais dans l’ensemble, je pourrais croire qu’il a entièrement disparu). Certes, il m’arrive d’avoir peur d’un lynchage public, d’une agression, mais cette crainte est théorique : le fait que j’aime un autre homme, que je dévie de l’hétéronorme, peut suffire à susciter la violence, je ne l’oublie jamais. C’est la raison pour laquelle, encore maintenant, j’évite tout geste tendre dans la rue. Il ne faut pas tenter le diable.
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Dans l’ensemble, je m’accepte tel que je suis. Plus j’avance dans l’âge et moins je me soucie de ce que les autres peuvent penser de moi : cet épanouissement est la raison pour laquelle je ne m’inquiète pas trop de vieillir.
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Parfois, je rêve à ce qu’aurait pu ressembler ma vie si j’étais né hétéro. Ce sentiment de ne pas faire partie du groupe, d’être toujours aux marges dans tout ce que je fais et ce que je suis, aurait-il quand même existé ?
Malgré moi, j’envie certaines « évidences » qui régissent l’existence des hétéros — ce modèle que l’on doit suivre avec plus ou moins de fidélité. Leur vie semble tellement plus facile de l’extérieur. Ils n’ont pas à se poser nos questions… Je sais qu’iels s’en posent d’autres et que leurs vies sont tissées des mêmes douleurs que les nôtres. Mais il doit être doux de n’avoir pas à avancer à contrecourant constamment.
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Nos faiblesses sont nos forces. Ce qui nous rend différents nous enrichit. La douleur peut devenir lumineuse dans les bonnes conditions.
J’aimerais dire à mon passé :
« Il n’y a peut-être aucune fierté à être comme tu es, mais il n’y a aucune honte à avoir non plus. Ne cherche pas l’acceptation chez les autres ; elle doit d’abord venir de toi. Le jour où tu t’accepteras, ces chaines qui semblaient si lourdes, si handicapantes, si étouffantes, disparaitront. Et sache qu’il y a beaucoup d’amour et de bienveillance autour de toi, même quand tu sembles ne voir que rejet et haine. »
Samedi 3 juin
Ça va, ça vient, mais en ce moment, j’aurais presque envie de quitter Twitter. Si je pouvais trouver ailleurs ma source de contenu boy’s love, entre autres, je pense que je partirais sans regret.
La négativité et la haine qui constituent l’ADN de ce réseau, la place centrale qui est donnée aux discours extrémistes (surtout ceux d’extrême droite), tout cela ressemble fort à de la junk food pour l’esprit.
Dans un monde idéal, j’aimerais que les RS que je fréquente stimulent mes réflexions, m’apprennent des choses variées et me fassent me sentir bien à l’idée de vivre en ce début du XXIe siècle. Qu’ils procurent aussi un peu de chaleur humaine.
Pour m’épanouir, j’ai besoin d’une stimulation positive constante ; sans Twitter, j’aurais l’impression de dépérir, comme une fleur que l’on n’arrose plus ou mal. (Mais il est vrai que ce n’est pas de l’eau fraiche que j’obtiens quand je fais cuicui avec l’oiseau bleu ; plutôt du coca-cola ou du pepsi.)
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La solution n’est pas nécessairement de partir pour de bon, comme j’ai quitté Facebook il y a quelques années. Peut-être est-il possible d’avoir un usage sain de Twitter, d’en tirer seulement des bénéfices et de se tenir éloigné de ses aspects les plus délétères…
Comme il doit exister un moyen de ne pas prendre de poids quand on a accès à un stock illimité de chocolats, de gâteaux et autres sucreries. (Ma pratique semblerait prouver le contraire et m’inviterait plutôt à bannir tous ces petits plaisirs qui deviennent très vite de gros plaisirs auxquels je suis incapable de résister… mais je m’égare !)
Dimanche 4 juin
Divinity 36 est le roman que j’aurais écrit si j’avais voulu adapter en SF l’univers fascinant de la K-pop, des idols et des fans.
C’est aussi la raison pour laquelle je suis émerveillé par l’histoire et le monde que Gail Carriger a créés : Phex est recruté pour devenir un dieu, c’est-à-dire un artiste capable de susciter la vénération de milliards de créatures, humaines comme aliens, à travers l’Univers.
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Dans Divinity 36, le premier volume d’une trilogie (Tinkered Starsong), il doit survivre au programme d’entrainement intense et à une sélection rigoureuse dans l’espoir de former un « panthéon » avec cinq autres aspirants/trainees.
Ce roman est l’illustration parfaite des théories que l’autrice a développées dans son essai, The Heroine’s Journey (2020), contrepoint du Hero’s Journey de Joseph Campbell. Dans ce texte, elle démontre qu’il existe deux types de voyages : le voyage solitaire, celui du héros, qui est appelé à se sacrifier pour le bien de la communauté et le voyage de l’héroïne (qui, comme ici, peut tout à fait être un homme), qui est caractérisé par l’entraide. Le voyage de l’héroïne, c’est une affaire de groupe, de collaboration et de cohésion. Contrairement au héros de Campbell, celle-ci n’est pas supposée se détacher de la société pour accomplir sa mission ; elle ne peut y arriver que si elle apprend à coopérer, à vivre en harmonie avec son environnement et celleux qui l’accompagnent.
Dans Divinity 36, Phex ne réalise son potentiel que lorsqu’il trouve sa famille adoptive. Même s’il a des dons exceptionnels, il n’existe pas en dehors de son panthéon. Le roman met l’accent sur la fonction essentielle qu’il occupe dans la dynamique de groupe : il est le « soleil » du panthéon, c’est-à-dire le membre autour duquel les autres gravitent, sans qui la troupe divine ne pourrait pas exister. Gail Carriger nous fait bien comprendre qu’être le « soleil » ne veut pas dire que Phex est le leadeur pour autant ; il fait office de colle ; il prend soin des autres. (Elle démontre ici sa compréhension fine des dynamiques en jeu dans les groupes de K-pop, par exemple.)