Lundi 4 septembre
Ayant pris un peu de retard pour la newsletter, j’ai dû relire les entrées du mois de juillet et d’aout pour préparer leur publication : c’est en faisant ce travail de partage que je mesure tout l’intérêt (pour moi) d’écrire un journal au quotidien.
Je ne me souvenais plus de ce que j’avais noté au début du mois de juillet : l’impression, parfois, de lire un étranger avec qui je partage des affinités de pensée (ah !). Heureusement, j’étais toujours en accord avec ce que je disais. Mais je sais qu’il arrivera un jour où ça ne sera pas le cas : le journal est un lieu où l’on est amené à se répéter, mais aussi à se contredire.
Mardi 5 septembre
Dans Building a Second Brain, Tiago Forte écrit en passant :
‘A common challenge for people who are curious and love to learn is that we can fall into the habit of continuously force-feeding ourselves more and more information, but never actually take the next step and apply it.’
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Dans mon cas, c’est tout particulièrement évident quand je lis des livres de développement personnel. Découvrir de nouvelles idées, de nouvelles façons de voir le monde, ça m’intéresse bien plus que de les tester et les mettre en pratique. D’ailleurs, dans certains cas, il ne me vient même pas à l’esprit de les intégrer à mon quotidien. (Combien d’ouvrages sur la méditation ai-je lus ? Est-ce que je médite, pour autant, moi ? Nope…)
Paradoxalement, je suis convaincu que toute réflexion, pour être utile, doit mener à l’action. Quand ce n’est pas le cas, le monde des idées s’avère stérile. Nous n’existons que pour interagir avec le réel.
(Je crois avoir assez pesté, ici et ailleurs, contre ces professionnels de la masturbation intellectuelle. Ils me sortent par les yeux.)
Mercredi 6 septembre
‘You are what you consume, and that applies just as much to information as to nutrition.’ (Tiago Forte)
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Je vois à quel point Twitter est aussi irrésistible qu’un McDonald’s : on sait qu’on ne devrait pas y aller, car ce qu’on y consomme n’est pas terrible, voire franchement mauvais, mais on ne peut pas s’en empêcher.
Le désir de consommer des choses saines, et donc de prendre soin de nous, est facilement court-circuité.
Que le régime soit informatif ou nutritionnel, peu importe : une partie de notre cerveau veut cette junk food. Elle y prend un plaisir malsain, d’autant plus malsain que le monde dans lequel nous vivons en produit une quantité phénoménale.
Elle rend notre cerveau malade : il suffit de voir les conspirationnistes (ou la moitié de la population des États-Unis).
Nous connaissons tous des cerveaux en voie de déliquescence : celui du père, qui nous envoie des vidéos débiles sur les risques de la vaccination ; celui de la collègue, convaincue que les immigrants en sont après son boulot ; celui du voisin, qui vote pour l’extrême droite, car, les politiciens, c’est bien connu, sont tous des pourris…
Peut-être même le nôtre ! Après tout, un cerveau malade s’avoue rarement malade.
Jeudi 7 septembre
En ce moment, je suis le « Family trip » au Japon de l’écurie BL de MAME (#MMYFamilyTrip) : les couples principaux de Wedding Plan et de Love in the Air font partie de ce voyage.
L’autrice poste plusieurs clips par jour : ce qui me frappe, c’est qu’on les voit rarement apprécier le paysage. Ils sont toujours en train de prendre des photos ou des vidéos d’eux. Ils prennent des poses, parfois ridicules, font plusieurs essais jusqu’à ce qu’ils soient satisfaits. C’est un travail sans fin. Ils ne semblent vivre que pour les réseaux sociaux.
Je m’interroge : une fois que les caméras sont rangées, cessent-ils eux aussi d’exister ?
Vendredi 8 septembre
Accepter la réalité telle qu’elle est semble être ce qu’il y a de plus difficile à faire pour l’être humain. Peut-être parce que nous vivons tous dans les fantasmes que notre cerveau produit sans cesse.
Pour ce dernier, une observation du réel et un rêve sont exactement de la même nature : il s’agit d’une série de signaux neuronaux qui le parcourent. Voilà pourquoi certains humains cultivent des pensées délirantes, qui vont à l’encontre de ce que notre expérience du réel nous démontre.
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Il semble que se défaire de ces illusions, de cette emprise constante de l’égo, soit l’objectif de la méditation et de certaines spiritualités, comme le bouddhisme.
Dans notre société libérale, où l’individualisme est érigé en culte (c’est ainsi que le capitalisme divise pour mieux régner), l’égo a une place de choix : on le laisse libre de délirer autant qu’il le souhaite. C’est même un devoir que de le renforcer. Mais, ce faisant, on devient l’esclave d’un monstre qui n’est jamais satisfait et qu’il faut apaiser par mille offrandes et mille sacrifices.
J’ai l’intuition que c’est en remettant l’égo à sa place (c’est-à-dire au même rang que les nombreuses « voix » qui peuplent notre cerveau) qu’on devient vraiment soi-même. La vraie liberté se trouverait donc, non pas dans l’affirmation de l’égo, mais dans sa négation. Be woke, fuck capitalism!
Samedi 9 septembre
‘To live as an artist is a way of being in the world. A way of perceiving. A practice of paying attention. Refining our sensitivity to tune in to the more subtle notes. Looking for what draws us in and what pushes us away. Noticing what feeling tones arise and where they lead.’
(The Creative Act: A Way of Being de Rick Rubin)
Dimanche 10 septembre
De Becky Chambers, je ne connaissais qu’Un psaume pour les recyclés sauvages, paru chez l’Atalante. L’univers me plaisait, mais le récit était tellement lent que je ne suis pas allé au-delà de deux ou trois chapitres.
Hier, lors d’une visite à ma bibliothèque de quartier, je suis reparti avec To Be Taught, If Fortunate (VF : Apprendre, si par bonheur), une novella publiée en 2019, qui raconte l’exploration de plusieurs exoplanètes par une petite équipe de scientifiques (quatre personnages : une narratrice pansexuelle, une lesbienne, un trans et un asexuel). Cette exploration est permise grâce au somaforming, une méthode révolutionnaire qui consiste à modifier le corps pour qu’il soit adapté au nouvel environnement de la planète. Quatre planètes en tout, quatre réveils où ils doivent découvrir un nouveau corps en plus d’un nouvel environnement.
Il ne se passe pas grand-chose dans cette novella, mais on ne s’ennuie à aucun moment, tant la narration d’Ariadne O’Neill est prenante. J’ai été impressionné par le talent de Becky Chambers. À aucun moment, je ne me suis dit que j’aurais pu écrire cette novella : c’est certainement là le plus beau compliment qu’un auteur puisse faire à un·e autre.