Lundi 15 mai
Les idées vont et viennent.
Je suis allergique aux notes (j’ai fait une scolarité entière où j’en ai pris le moins possible, préférant multiplier les sources d’information plutôt que relire cent fois la même chose). Longtemps, j’ai considéré que ma mémoire retiendrait ce qui méritait d’être retenu. Good ideas stick, right?
Depuis que j’ai dépassé la trentaine, je suis toujours aussi allergique à la prise de notes, mais mon cerveau (débordant de détails superflus ?) semble avoir décidé de tout expurger, même l’utile, même l’important. Je ne peux plus lui faire confiance pour se rappeler ces idées fugaces, les triviales comme les chatoyantes.
Dernier exemple en date : hier, j’avais une idée intéressante pour une entrée de ce journal. J’étais sur le point de la noter (oui, elle était à ce point engageante que je voulais la préserver !), mais j’ai été distrait (par quoi ? j’ai oublié) et, pouf, now it’s gone. Je ne sais même pas le thème général, il ne reste aucun indice qui me permette de remonter sa trace. Je me souviens juste que j’avais une idée. La belle affaire ! À oublier, n’aurais-je pas pu tout oublier ? Ç’aurait été moins frustrant.
Mardi 16 mai
Triste que, dans les médias, on laisse le Figaro s’emparer de la langue française et des lettres classiques. On dirait qu’il n’y a que ce journal pour parler de ces deux sujets. Où sont les voix de gauche, où est l’approche progressiste ? Il ne faut pas s’étonner si ça finit par sentir le rance.
Les gens associent les antiquités méditerranéennes (le pluriel ici s’impose) à un élitisme puant et rétrograde : comment pourrait-il en être autrement si les seuls échos qu’ils entendent viennent de ce journal conservateur ?
S’intéresser à l’histoire, ce n’est pas être nostalgique d’un monde qui n’est plus ou utiliser le passé pour dénoncer le présent et refuser le futur. Le « c’était mieux avant », que l’on retrouve dans tous les discours du Figaro sur le français, l’histoire et les belles lettres, me fatigue (en plus d’être faux).
Mercredi 17 mai
De plus en plus, j’ai besoin de me rappeler que ce qui a eu lieu il y a 7, 10, 15 ans ne mérite pas d’occuper la scène de mon espace mental. Revivre les premiers drames professionnels, les relations amoureuses (réelles comme avortées), les déceptions surtout (bien plus que les joies), n’apporte rien quand on a déjà tiré les conclusions qui s’imposaient… et que le moi d’alors n’est plus le moi de maintenant.
Que d’énergie gâchée à échafauder des scénarios, des what-ifs, au sujet d’événements, de situations, de moments de mon existence qui ne se représenteront plus ! Le plus souvent, le passé mérite de rester dans le passé.
Jeudi 18 mai
Je juge certaines personnes de mon entourage professionnel avec dureté. J’accepte les défauts des gens (j’en ai beaucoup moi-même), mais je ne supporte pas l’incompétence.
Les pires, ce sont ces incompétents gentils, que l’on aimerait détester mais qui sont des gens bien sur le plan humain. Des mauvais collègues qu’on critique avec culpabilité, car on s’entend bien avec eux… mais dont le comportement professionnel nous afflige, surtout s’ils s’avèrent être des managers…
Je préférerais avoir affaire à des collègues haïssables, ça simplifierait les rapports et chasserait toute trace de culpabilité.
Vendredi 19 mai
Je n’ai plus l’énergie des vingt ans.
La journée que j’ai passée, hier, à l’Université de Leeds m’a épuisé le cerveau si bien que je suis une loque, à peine bonne à rester devant l’écran et à faire semblant de travailler…
Ma collègue a enchaîné avec une autre rencontre professionnelle à Londres : elle a toute mon admiration.
À sa place, j’aurais préféré mourir plutôt que me (re)lever tôt et (re)prendre le train… et parler à des inconnu·es une journée de plus.
Samedi 20 mai
La citation d’Ursula Le Guin que j’ai lue (et citée ici) le week-end dernier m’a clarifié l’esprit.
Depuis, un résumé de ce qu’elle y déclare est punaisé sur le panneau en liège au-dessus de mon ordinateur : clarté de la langue, précision et richesse de la description, variété du rythme… autant de caractéristiques avec lesquelles je suis en accord (et qu’il me suffira d’appliquer au moment venu — c’est, en tout cas, la théorie).
Quant au reste, qui me parle moins pour ainsi dire, je le digère petit à petit.
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Cette semaine, j’ai aussi travaillé avec plus de régularité sur mes Récits Péninsulaires : je me rapproche du jour fatidique où je pourrai commencer l’écriture.
Mais j’en suis encore loin pour le moment : je veux prendre le temps de repenser mon monde, de le dépoussiérer, de le changer en profondeur si besoin.
Quand on habite un univers depuis vingt ans, c’est commode d’emprunter les mêmes chemins sans y penser. Le terrain a été balisé, la promenade promet d’être facile, mais la destination demeure identique. Si on désire découvrir quelque chose de nouveau, il faut diriger son regard là où il ne s’est jamais porté, il faut se rendre là où les sentiers n’existent pas encore.
Je veux que le monde et les histoires que je vais raconter soient à l’image du voyageur que je suis maintenant et non de l’adolescent pérégrin que j’étais alors.
Évidemment, je ne compte pas faire table rase du passé (l’essence de la Péninsule, et de certains personnages, restera la même), mais je suis déterminé à mettre un point final à ce projet sans fin, et pour ce faire, les réajustements, ou les réactualisations, sont indispensables.
Dimanche 21 mai
J’affectionne l’anglais, car c’est, à mes yeux, une langue plus directe que le français : une langue tournée vers l’action, qui, bien que littéraire quand elle le souhaite, refuse d’être ampoulée.
En comparaison, le français aime la complexité. Son « bon style » n’est pas démocratique, mais élitiste. Purisme et pédantisme avancent main dans la main et semblent régner en maître dans les milieux littéraires. La simplicité, loin d’être un idéal, devient synonyme de pauvreté. On voue un culte à la correction la plus absolue et aux règles d’accord byzantines.
C’est pourquoi on écrit des livres sur le « français correct » tandis qu’outre-Manche ou outre-Atlantique, on préfère se concentrer sur le « plain English ».