Journal de mai 2023

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Lundi 22 mai

Évidemment, je préfère l’anglais parce que ce n’est pas ma langue maternelle et que je l’aborde en étranger, comme Beckett aimait le français, car il lui permettait une simplicité stylistique que la langue de sa jeunesse lui refusait…

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Tout est une question d’exigence, en somme. En anglais, je supporte tous les styles, même les plus insipides ! Il faudrait vraiment que la qualité soit mauvaise pour que je ne dépasse pas le premier paragraphe : seules les erreurs grammaticales m’horripilent.


Mardi 23 mai

D’après Lisa Cron (Story Genius), on lit avant tout pour l’histoire. Toutes les marques du littéraire (style, intrigue, etc.) sont des hors-d’œuvre ; l’histoire serait le plat principal. C’est ainsi, en tout cas, qu’elle justifie le succès impressionnant de Cinquante Nuances de Grey : si les gens voulaient avant tout des romans bien écrits, personne n’aurait entendu parler de la trilogie d’E.L. James.

Elle remarque aussi que nous peinons à expliquer ce qui constitue une bonne histoire (nous le sentons instinctivement) ; en conséquence de quoi, nous nous rabattons sur des éléments plus facilement repérables comme les phrases d’un·e auteurice. 

Évidemment, elle ne veut pas dire que l’intrigue, le style ou la voix d’un·e auteurice n’importent pas. Nous confondons simplement l’arbre et la forêt ; nous relevons des éléments de surface que nous prenons pour l’essence même du roman. 

Et dès les bancs de l’école, on nous enseigne cette vision superficielle de l’écriture… ce qui expliquerait pourquoi tant de romans, peaufinés pendant des années et des années, fruits d’un labeur acharné, échouent à nous enchanter.


Mercredi 24 mai

Je lis un article sur Yourcenar et la politique (« Marguerite Yourcenar était-elle de droite ? »). 

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Comment doit-on juger un·e auteurice quand on a accès à toute son œuvre et à toute sa vie ? Ses opinions de jeunesse importent-elles davantage que ce qu’iel affirmait à cinquante ans, puis à soixante-dix ans ? Peut-on réduire une longue vie faite de mini-révolutions à quelques idées générales ? Que se passe-t-il quand le chemin parcouru est si long que la destination se trouve à l’opposé du point d’origine ? Quelle position politique retient-on ? Celle qui nous arrange ou celle que nous abhorrons ? Pardonnons-nous les errances de jeunesse ? Essayons-nous de justifier la sclérose rance de l’esprit qui a débarqué en même temps que les rhumatismes ?

Et si l’auteurice s’est montré·e peu prolixe en discours politiques, doit-on passer son œuvre au peigne fin pour essayer de déterminer si iel était plutôt progressiste, plutôt conservateurice ?

Et à partir de quel moment après sa mort les opinions politiques d’un·e auteurice n’importent-elles plus ? Un siècle peut-être, deux grand maximum ?

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Le XXe siècle est encore trop proche de nous pour que nous cessions d’être intéressés par les positions politiques de nos grands écrivain·es, qu’iels aient été engagé·es ou non. Mais arrivera un temps où leurs préoccupations politiques ne seront plus vraiment les nôtres et nous lirons leurs œuvres comme des représentantes de leur siècle, ni plus, ni moins, sans nous soucier de savoir si elles étaient à gauche ou à droite…


Jeudi 25 mai

Le soleil et les températures clémentes sont enfin de retour. On ne sait combien de temps cela va durer (la grisaille caractérise Sheffield et le thermomètre peut s’effondrer du jour au lendemain).

J’ai peu de problèmes avec les températures fraîches, mais depuis que nous avons déménagé dans le Yorkshire, l’absence de franc soleil est ce qu’il y a de plus difficile à vivre. 

Si j’en crois les statistiques, Oxford comptabilise 1615 heures d’ensoleillement tandis que Sheffield peine à arriver à 1485 heures (d’ailleurs, il y pleut plus souvent). En comparaison, Édimbourg, bien plus au Nord, accumule 1450 heures… et je découvre que Lincoln fait mieux qu’Oxford avec ses 1631 heures. Il est donc temps que je prépare mes bagages et parte m’installer dans le Lincolnshire.


Vendredi 26 mai

« Nous, linguistes, sommes proprement atterrées par l’ampleur de la diffusion d’idées fausses sur la langue française, par l’absence trop courante, dans les programmes scolaires comme dans l’espace médiatique, de référence aux acquis les plus élémentaires de notre discipline. L’accumulation de déclarations catastrophistes sur l’état actuel de notre langue a fini par empêcher de comprendre son immense vitalité, sa fascinante et perpétuelle faculté à s’adapter au changement, et même par empêcher de croire à son avenir ! Il y a urgence à y répondre. »

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Les « linguistes atterré·es » viennent de lancer une contre-attaque. Tremble, Figaro ! Tremble, Académie Française ! Iels ne vous laisseront plus dire des conneries sur la langue française. Vos délires linguistico-apocalyptiques sur le déclin national vont, enfin, se heurter aux études scientifiques sur le terrain, à la dure réalité.

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Comme il semble que les questions de langue échauffent davantage l’esprit gaulois que la crise climatique (chacun ses priorités, comme on dit), nous pourrions avoir affaire à une querelle plus grande encore que celle de l’écriture inclusive et de la féminisation des noms de métier. 

Sortez votre popcorn, it’s going to be entertaining.


Samedi 27 mai

Pendant longtemps, Doctor Who (la saison 4 en particulier) et Being Erica (2009-11) ont été les seules séries que j’ai eu envie de revoir plusieurs fois. 

Being Erica, en particulier, m’a aidé à supporter ma dépression d’alors : j’avais 23 ans et l’impression d’avoir (déjà !) raté ma vie. Comment ne pas s’identifier au personnage d’Erica, cette jeune trentenaire qui démêlait ses innombrables regrets ? Cette série était fantastique, à tous les sens du terme !

J’ai oublié les 3/4 de ce qui se passe dans les quatre saisons, mais demeure une profonde affection pour Toronto et Erin Karpluk.

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Cette semaine, je me suis mis à reregarder quelques séries coréennes : What’s Wrong with Secretary Kim (vue en septembre 2021, au début de mon exploration des productions asiatiques) et Business Proposal (avril 2022). Plutôt dans le mois, c’était le BL Blueming

L’occasion de vérifier ce dont je me souviens (parfois très peu, parfois des pans entiers de l’histoire)… et de passer un bon moment. Sans oublier que le storyteller en moi analyse ces séries et se demande comment il les raconterait dans un roman.

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De plus en plus, je vois l’intérêt de replonger dans des œuvres que l’on a déjà parcourues, fussent-elles des livres, des séries ou des films, plutôt que de toujours aller de l’avant et d’explorer le catalogue sans fin que notre monde contemporain ne cesse de produire. Plus jeune, je pensais que les relectures étaient une perte de temps (so little time!, so many books!), mais j’ai compris que visiter des histoires déjà connues fait du bien à l’âme et enrichit différemment.


Dimanche 28 mai

J’admire autant que j’envie mon mari qui n’est sur aucun réseau social. J’en suis incapable, en partie parce que je suis un auteur autopublié (maintenir un semblant de présence en ligne permet de croire qu’on existe). 

Je ne peux pas compter sur un éditeur pour diffuser mes textes et faire connaître mon nom (mais il semble que le milieu de l’édition compte de plus en plus sur les auteurices pour faire leur propre promotion ; une situation ridicule que nous acceptons, puisque le rapport de force ne joue pas en notre faveur…).

Je vis à l’étranger entouré de gens qui ne peuvent pas me lire — sans les réseaux sociaux, je me sentirais encore plus seul que je ne le suis déjà ; je serais coupé de ce qui se passe en France (imaginez : plus de débats sur le voile ou sur les dangers mortels qui menacent la langue française — without them, how would I survive?!). 

Alors, je reste sur Twitter (et fais semblant d’être sur Instagram), croyant que ça me permettra d’être lu, le jour où je déciderai de publier un nouveau texte. Mais en réalité, je doute que ma présence sur les réseaux sociaux ne me donne jamais cette visibilité à laquelle j’aspire. 

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En attendant, quand je scrolle sans fin sur Twitter ou Insta, je peux voir les acteurs de mes BLs préférés à moitié dénudés : c’est une occupation saine et enrichissante, a life worth living, n’est-ce pas ?