Lundi 10 juillet
N’est-il pas vain, de nos jours, de vouloir créer des œuvres littéraires qui survivent à celleux qui les ont enfantées ? Les gouts des lecteurices sont capricieux, ce qui plait aujourd’hui sera dénigré demain. Tout semble s’accélérer, et la crise climatique est déjà sur nous : existera-t-il seulement des lecteurices dans cent ou deux-cents ans ?
Nous écrivons tellement de romans, de nouvelles et de textes en tous genres que ce n’est pas dans une bibliothèque, mais dans une décharge, que les lecteurices de demain (des IAs formées aux langues « anciennes » ?) devront se rendre pour lire notre production pantagruélique.
Mardi 11 juillet
Dans sa Masterclasse, l’écrivain Xavier Mauméjean explique sa manière d’écrire un roman :
« Je ne procède pas par journées, j’ai le sentiment que ma manière de travailler est une manière picturale. Toutes proportions gardées évidemment, je compare ça au travail de Jackson Pollock ; je crée, mettons, deux-cents fichiers et au fil de mes recherches, je diffuse l’information dans les fichiers, mais sans me soucier de l’intrigue, sans me soucier de la narration, et petit à petit, vont se détacher des éléments. Quand les fichiers sont ouverts, c’est visuel. C’est une approche formelle, classique qui fait que je n’écris jamais dans la continuité, j’écris souvent la première phrase et la dernière phrase, mon point de départ et mon point d’arrivée et ensuite, ça dépend de la richesse de la documentation, de l’envie du moment, je peux aussi écrire le chapitre 24 et ensuite, le chapitre 3. Je ne relis pas, je quitte le chapitre et il est écrit. Je ne lisse pratiquement pas. D’ailleurs, j’aime bien dire “Il ne me reste plus qu’à rédiger”, parce que c’est vrai. Pendant des mois, j’ai la représentation visuelle des chapitres et je pioche. Le style lui-même est justifié par le projet, j’essaie de n’avoir jamais le même style selon les romans (…) »
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Un jour, il faudra que je m’essaye à écrire un roman dans le désordre. Je ne suis pas sûr d’en être capable : j’écris les miens comme je les lirais, dans l’ordre. Quand je suis d’humeur audacieuse, j’intervertis deux chapitres.
Les seuls projets que je me verrais bien composer dans le désordre sont éclatés, des recueils de textes fragmentés où l’histoire est discontinue et partielle. Des potpourris, comme Always Coming Home de Le Guin, où l’unité n’existe que dans la diversité chaotique du texte.
Dans mes carnets, je note ces idées d’ouvrages, mais je ne les écris jamais, peut-être parce que je ne suis pas sûr de la méthode à suivre. J’ai besoin d’ordre pour calmer ma nature anxieuse.
Mercredi 12 juillet
Je refuse que ma vie soit dirigée par des algorithmes qui déterminent ce que je lis, regarde ou consomme. Pour le moment, Threads by Meta ne me plait pas, car il veut choisir à ma place : quel intérêt de « suivre » des gens, faire l’effort de liker ce qu’on aime et partager ce qui nous enchante, si c’est pour avoir un algorithme têtu, un peu benêt, qui nous oblige à lire des trucs qui ne nous intéressent pas, ou, pire, qui vont à l’encontre de nos valeurs ? Si c’est de l’engagement que Threads recherche, pas de bol, ça me donne plutôt envie de me désengager.
Dans la vie, il faut faire croire aux gens qu’ils ont le choix, même (et surtout) quand ce n’est pas vrai. The illusion of agency, so to speak. Je ne suis pas une oie qu’on peut gaver sans problème.
Threads, si tu veux me gaver, fais au moins l’effort de me montrer des mecs à moitié à poil et des news de la communauté du BL.
Jeudi 13 juillet
Hier, j’ai découvert l’existence de la psychologie culturelle, qui explore le lien entre psychologie et culture (rien de surprenant vu le nom).
J’ai appris que la manière de penser occidentale était différente de la pensée asiatique… que cette différence n’était pas seulement linguistique (les mots recouvrent différentes réalités), mais qu’elle était structurelle.
La pensée occidentale est analytique tandis que l’approche orientale est holistique : par exemple, en Europe, nous préférons noter les spécificités d’un objet (une table est une surface plane et horizontale qui repose sur quatre pieds ou un piètement central) tandis qu’en Asie, c’est le contexte qui apparait en premier (c’est autour d’une table que les gens d’une même communauté mangent).
Cette différence fondamentale de penser le monde se retrouve dans le design des pages web : l’Occident promeut le minimalisme, où l’on focalise l’attention sur une seule information de crainte de submerger l’utilisateur, tandis que l’Orient aime la densité, car l’utilisatrice est habituée à gérer davantage d’information en même temps.
Pareillement, on retrouve cette différence dans les émissions de divertissement : en Asie, l’écran est surchargé d’animations, de citations et de commentaires… Il se passe tellement de choses que le spectateur occidental ne sait plus ce qu’iel doit regarder. Même His Man, le dating show coréen, qui n’est pas le pire en la matière, cite et résume constamment ce que les participants se disent.
Ce que je trouve fascinant avec ces variations culturelles, c’est qu’elles nous rappellent qu’aucune culture n’a davantage raison que sa voisine : certes, nous sommes dérouté·es par certaines pratiques qui nous semblent aller à l’encontre de la logique (ou du bon gout), mais ça ne veut pas dire que les autres ont tort pour autant. Il n’y a pas une bonne et une mauvaise manière de regarder le monde. C’est une leçon d’humilité qu’il serait bon de propager sur les réseaux sociaux.
Vendredi 14 juillet
Une pensée pour mon pays d’origine où l’on célèbre aujourd’hui l’esprit révolutionnaire de la nation tout en abhorrant ses manifestations les plus contemporaines.
En réalité, la France célèbre sa bourgeoisie, qui est encore au pouvoir et semble se porter bien.
Célébrons donc la bonne santé de notre nation, ou plutôt de son groupe dominant, et fermons les yeux sur le racisme et les autres ismes qui la gangrènent.
Ah ! Quelle fierté d’être Français·es en ce début du XXIè siècle !
Samedi 15 juillet
Les mécanismes de la procrastination savent être subtils. Alors que je m’apprête à commencer la rédaction de la nouvelle/novella à laquelle j’ai réfléchi ces derniers mois, mon cerveau s’imagine travailler sur un autre projet. Mais comme celui-ci n’est qu’à l’état d’ébauche, il me faudrait des mois et des mois de recherche avant de pouvoir passer à la rédaction…
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L’expérience aidant, je ressens la peur dès qu’elle pointe le bout de son nez. « Je ne suis pas encore prêt » veut dire « je ne sais pas comment m’y prendre »… et l’envie d’attendre un peu s’installe… et on remet à plus tard ce qu’on aurait pu commencer aujourd’hui. Il faut dédramatiser le processus : c’est normal de ne pas savoir où l’on va ; c’est normal d’hésiter ; c’est normal de se tromper. Et c’est normal d’avoir peur tant que ce sentiment ne nous paralyse pas, car le pire, ce n’est pas de produire un mauvais texte, mais c’est de ne rien écrire.
En écriture, on apprend toujours de ses erreurs, mais jamais de ses inactions.
Dimanche 16 juillet
Harrogate est située au nord de Leeds, à 1 h 30 de Sheffield en voiture. Cette ville n’est pas sans rappeler la séduisante Bath. Elle a une belle architecture et une taille relativement modeste (env. 70 000 habitants). Pendant des générations, ses eaux pures ont attiré les souffreteux riches et influents… Et une balade dans ses rues ou ses espaces verts prouve que l’argent est encore présent. Harrogate est bourgeoise dans ses gouts comme dans ses manières.
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Mon rêve, c’est de vivre dans une jolie ville comme celle-ci (la bourgeoisie m’insupporte, mais je suis prêt à quelques sacrifices pour une meilleure qualité de vie). Je m’imagine dans une belle maison, spacieuse mais pas pour autant immense. À l’abri des regards si possible.
Comme on n’en trouve aucune à Harrogate qui soit en dessous d’un demi-million de pounds, autant dire que ça n’arrivera pas. Ma carrière ne me permettra jamais ce train de vie. Si j’avais été obsédé par l’argent, j’aurais travaillé dans le secteur bancaire et non dans l’administration universitaire.
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Il reste, évidemment, la loterie… C’est une sorte de deus ex machina quand on planifie ou rêve sa vie. Je crois sincèrement que j’ai moins de chance d’écrire un bestseller que de gagner le jackpot de l’EuroMillions. De deux scénarios improbables, le second est quand même plus probable que le premier.
Imaginons une seconde un auteur de romances gay, écrites en langue française, qui connait un succès tel qu’il devient aussi riche qu’un gagnant de l’EuroMillions (disons, 17 millions d’euros).
Je répète, car il faut faire un grand effort d’imagination : un auteur français de romances gay. 17 millions d’euros. Allez, comme je me sens d’humeur généreuse, baissons à un million d’euros…
Non, même avec un deal Netflix, signé sur un malentendu, c’est tout bonnement impossible.
Évidemment, si le destin veut me troller à l’échelle cosmique, j’accepte d’être la victime de ce foutage de gueule et de devenir le premier auteur de romances gays français à connaitre un succès similaire à Twilight, Fifty Shades ou HP. En attendant, j’ai acheté mon billet pour le prochain tirage de l’EuroMillions. Il vaut mieux être prudent.