Lundi 3 juillet
Pourquoi partageons-nous notre quotidien, nos pensées, avec des étrangers sur les réseaux sociaux ? Quel(s) besoin(s), exactement, satisfaisons-nous ? Celui de tenir une cour ? Celui d’être rassuré·e ? Celui d’avoir de l’influence ? De faire du bruit, d’occuper la place ou de laisser une trace derrière soi ?
J’aimerais croire que c’est pour le partage… mais le vrai partage n’existe pas sans une écoute sincère. Il est impossible quand on souhaite dominer un débat ou avoir raison à tout prix. Ce n’est pas non plus du partage si on impose aux autres des faits, des opinions, des avis qu’iels n’ont pas demandé.
Mardi 4 juillet
Je trouve ces récits des années 60, cette liberté sexuelle de la jeunesse bohème, absolument fascinants et… incroyables. (Hier, j’ai lu un article qui explorait la vie et l’oeuvre de Samuel R. Delany — il y avait des passages assez croustillants !)
Le sida aura non seulement décimé une génération entière d’homosexuels, mais stoppé net ce mouvement d’émancipation sexuelle.
Le sexe est encore quelque chose que nous craignons (autant que nous le désirons) : amour et mort sont tellement liés dans notre imaginaire contemporain qu’une sexualité libérée demeure synonyme d’un death wish irresponsable.
Les pratiques sexuelles ne sont pas des actes amoraux (ce qu’elles devraient être entre deux adultes consentants) : elles sont taxées d’immoralité si elles ne sont pas pratiquées dans les « bonnes conditions ».
Certes, la PrEP pourrait changer cette perception auprès des nouvelles générations (et qui sait, un jour, peut-être, un vaccin).
Ne serait-il pas merveilleux de dissocier amour et mort pour de bon ? De n’avoir plus à craindre, ni à policer, nos instincts sexuels ? Est-il possible qu’à l’avenir, nous retrouvions cette liberté débridée sans l’opprobre qui l’a entachée pendant si longtemps ?
Et qu’en est-il de ceux de ma génération, ou de la précédente ? Peuvent-ils espérer se libérer des cauchemars du passé ?
Mercredi 5 juillet
Ma collègue qui me voit débarquer avec mon manteau d’hiver et qui me répond, quand je lui fais remarquer qu’il fera péniblement 18 °C aujourd’hui : « Mais tu devrais avoir chaud, ce sont des températures d’été ! »
C’est là qu’on voit pourquoi un immigré ne peut pas s’intégrer à son pays d’accueil : on ne me verra pas en short à 18 °C — ni maintenant, ni jamais.
Jeudi 6 juillet
Lancement de Threads by Meta, l’alternative de Twitter selon Mark Zuckerberg. Connectée à notre compte Instagram, cette nouvelle app est facile à utiliser et ressemble assez à Twitter pour qu’on n’ait pas à faire d’effort quand on l’utilise.
Mon outil, ce sont les mots, pas les images. Threads m’attire donc davantage qu’Instagram… mais elle semble avoir les mêmes défauts que sa grande sœur : pas d’app spécialement conçue pour iPad (ce qui est assez incroyable quand on sait qu’ils ont les moyens financiers, chez Meta) — l’expérience est donc réduite à un facsimilé d’écran de téléphone. J’ai l’impression d’avoir été enfermé dans une bouteille : c’est étroit, j’étouffe un peu.
On ne choisit pas ce que l’on voit : l’algorithme décide pour nous… (Chérie, si tu me montres un post de la NBA encore une fois, je sens qu’on ne va pas être amis très longtemps, toi et moi.)
Et évidemment, Meta veille à piller toutes nos données : on vend une nouvelle fois notre âme au diable… (en échange d’une expérience assez médiocre quand on n’aime pas passer sa vie sur le téléphone.) Pour le moment, Threads n’a pas été lancé dans l’UE vu qu’ils ne respectent pas le GDPR…
Ah ! J’allais oublier… Impossible de désactiver son profil Threads sans supprimer son compte Instagram… Pas dramatique en soi. Juste agaçant pour qui aime jouir d’une liberté totale.
Un point positif : tous les acteurs du BL thaï sont déjà présents (il faut dire qu’ils sont très actifs sur Instagram) — mais comme la traduction automatique n’est pas (encore) disponible, Threads me rappelle mes limites linguistiques. C’est ennuyeux, car je ne vais pas m’amuser à copier-coller chaque post dans Google Translate. Ce serait certainement moins fatigué de se remettre au thaï !
Nul doute que de nouvelles fonctions seront ajoutées et que ce problème sera vite réglé. Pour moi, la présence de la communauté internationale du BL sur Threads est certainement le seul argument de vente de cette app : alors que Twitter continue à se dégrader, je suis soulagé d’avoir trouvé l’alternative qui me permettra de continuer à nourrir mon addiction au BL.
Vendredi 7 juillet
La fatigue (certainement plus mentale que physique), qui s’est accumulée depuis mai, commence à impacter ma motivation. Je peine à avancer mon mandarin ; je manque d’inspiration pour écrire ce journal ; je m’ennuie devant mes séries télé.
Le gris de Sheffield me donne envie d’envoyer balader tous mes projets…
J’ai besoin de me renouveler, de retrouver cette excitation mentale, cette énergie afin de relancer le moteur.
C’est temporaire, évidemment. Dans quelques jours, le soleil (au propre comme au figuré) refera son apparition. En attendant, je tâche de ne pas m’en vouloir, d’y aller doucement, de faire preuve de bienveillance envers moi-même (et les autres, qui m’agacent plus facilement). Nous ne sommes pas des machines : la constance est une illusion. Il faut apprendre à vivre à son rythme.
Samedi 8 juillet
Je n’ai rien contre ma belle-famille, si ce n’est que nous n’avons quasiment rien en commun et que je m’ennuie au bout de quelques heures en leur présence. (Mais j’apprécie leur gentillesse et l’effort qu’ils font pour m’inclure dans leur quotidien…)
La présence d’autrui tend à me fatiguer vite… et si je m’écoutais, je vivrais une vie d’ermite. J’ai certainement été un moine contemplatif dans une vie antérieure (à moins que ça soit l’opposé : un mondain jet-setteur qui a consumé l’équivalent de deux vies sociales en une… ce qui fait qu’il ne me reste plus rien maintenant).
Je supporte mal ces bavardages un peu creux, ce qu’ici on nomme le chit-chat. Parler de la pluie et du beau-temps épuise mon cerveau. (Une variante en vogue dans le nord de l’Angleterre : parler de ce qu’on a prévu de manger le soir-même… Osef !) Ma personnalité s’accommode plus facilement de discussions suivies, de réflexions en profondeur… Par expérience, je sais que les gens n’aiment pas vraiment ça — c’est le genre de conversations qui les fatigue, eux.
Du coup, j’essaye de m’adapter, mais je cache, parfois mal, mon bâillement, comme cela a été le cas aujourd’hui.
Dimanche 9 juillet
Pour être heureux, il faut se méfier de son instinct, de cette petite voix qui nous murmure que l’on vivrait mieux (ou tout aussi bien) sans la compagnie d’autrui.
Quand on ne veut voir personne, il y a de fortes chances que ce dont on a besoin soit l’inverse (de la compagnie, oui, mais peut-être pas la compagnie habituelle qui a vidé nos batteries).
Nous sommes des créatures sociales. Nous avons toustes besoin de chaleur humaine.
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Rien ne remplace une bonne discussion (de visu ou au téléphone) avec un·e ami·e.
Quand je discute avec Stéphane, pendant quelques heures, je me sens plus léger, moins seul (c’est comme si nous redevenions les deux collégiens que nous avons été, sauf que maintenant nous discutons de politique, de nos vies amoureuses et sexuelles, de nos tracas professionnels et de la fin du monde). Ce que nous nous disons n’est pas toujours joyeux, mais mon humeur (et, j’ose espérer, la sienne) est toujours meilleure après.