Lundi 08 avril
Évidemment, les tailles du marché américain et du marché français ne sont pas comparables : les phénomènes décrits et analysés dans The Bestseller Code n’existent pas en France. En tout cas, pas à cette échelle. Pour espérer atteindre ce niveau-là, il faudrait écrire (ou être traduit) en anglais et avoir accès à des marchés plus vastes.
Les anglophones ont réussi à bâtir des réseaux commerciaux à travers le monde : un Anglais peut espérer être édité en Angleterre, mais aussi aux États-Unis, en Inde, en Australie, etc. — et si un marché national le refuse, son agent en tentera un autre. Mais côté francophone, ça semble très cloisonné : on parle rarement de publier dans le marché français, canadien, belge et ailleurs. On nous rabâche les oreilles avec la francophonie, mais en réalité, c’est la France qui se regarde le nombril. Hors de France, point de salut.
Mardi 09 avril
Je crois que ça ne me dérangerait pas d’être publié au Québec seulement. De toute manière, la frustration que j’éprouverais (celle de ne pas voir mes livres en librairie) serait la même que si j’étais édité traditionnellement en France, puisque je vis à l’étranger.
Mercredi 10 avril
Sur Twitter-X, Anne-Laure Le Cunff demande aux bilingues et plurilingues dans quelle langue iels écrivent leur journal et laquelle iels utilisent pour prendre des notes. De nombreuses personnes ont répondu et j’ai lu chacune des réponses avec une dévotion presque religieuse, le plus souvent admiratif de ce que j’y découvrais.
Pendant quelques minutes, j’ai oublié que je faisais de même au quotidien ! Quand j’écris en anglais, c’est d’une banalité confondante, mais chez les autres, la pratique est comme auréolée de magie, comme s’iels étaient capables de maitriser un outil indomptable.
En réalité, leur anglais est peut-être moins bon que le mien, ou meilleur, on ne peut juger à la seule lecture d’un tweet… Et j’irai même plus loin : osef, ce type de comparaisons est absurde et stérile, mais le cerveau ne peut résister à la tentation. Surtout le mien, visiblement.
Jeudi 11 avril
Hier soir, j’ai lu cet article sur la traduction du livre de BTS en anglais, par Anton Hur, Clare Richards et Slin Jung.
Ce qui m’a frappé, c’est la générosité d’Anton Hur à l’égard de ses cotraductrices dont il fait un éloge absolu. Cela fait quelque temps que je le suis sur Twitter ; j’ai même acheté sa traduction de Baek Sehee (I Want to Die but I Want to Eat Tteokbokki)… j’en achèterai certainement d’autres car les projets dont il se fait le champion sont très souvent ma came. (Lui-même, auteur LGBTQ+, écrit de la fantasy)
J’attends avec impatience la sortie britannique de sa traduction d’ Indeterminate Inflorescence de Lee Seong-bok, un recueil d’aphorismes sur la poésie et son écriture, qui a connu un mini succès surprenant aux États-Unis l’année dernière.
Il y a quelque chose de beau à faire la promotion d’une culture étrangère (qui est aussi la sienne), contre vents et marées, dans un milieu anglophone qui n’aime pas commissionner les traductions. Le combat ne doit pas être facile, les finances précaires, mais l’acte est noble et certainement épanouissant.
Vendredi 12 avril
Pour comprendre le succès commercial d’un livre, il ne faut surtout pas se tourner vers les critiques littéraires ou vers les professeures de littérature : iels sont de mauvais juges qui, le plus souvent, n’éprouvent que le plus grand mépris pour ces bestsellers.
Ce qui sera noté, c’est la mauvaise qualité de l’écriture, le mauvais gout dont font preuve ces artistes de bas étage aussi bien dans le choix des mots que celui des thèmes. Il serait donc facile d’en conclure que ce qui caractérise les bestsellers, c’est leur mauvaise qualité.
En général, on s’arrête là. Cette réponse satisfait le milieu littéraire : son sentiment de supériorité n’est pas mis à mal. Tout va bien.
Mais en réalité, les auteurices de bestsellers méritent tout notre respect : écrire des romans qui vendent beaucoup, c’est-à-dire à même de satisfaire une armée impressionnante de lecteurices, ce n’est pas une mince affaire. Si c’était le cas, tout le monde le ferait…
C’est donc un art, quoi qu’on en dise. Et cet art mérite qu’on l’étudie sans jugement. Cela demande une humilité qui n’est pas toujours aisée, car elle nous force à remettre en cause notre vision de ce qu’est la littérature et de ce que « bien écrire » veut dire.
Samedi 13 avril
Je suis convaincu que nous avons beaucoup à apprendre de ces écrivain·es, même lorsque notre objectif n’est pas de vendre des millions d’exemplaires. Après tout, l’écriture fictionnelle repose sur un principe qu’il ne faudrait jamais oublier : on écrit un roman pour divertir les lecteurices.
Qui ignore l’effet qu’iel produit sur son lectorat court droit à sa perte.
Je trouve donc stupide de rejeter les leçons que peuvent nous enseigner un Dan Brown, un Stephen King ou une Nora Roberts, celles et ceux qui sont passés maitres dans l’art du page-turner.
« The problem is that this kind of appreciation of literature has been shrouded in embarrassment and shame for a long time. » (Archer & Jockers)
Dimanche 14 avril
« (…) les premières phrases (du roman) créent une voix. Notez ce qui les caractérise — la longueur, la ponctuation, la simplicité relative. Quelqu’un nous parle, et ce quelqu’un a l’air authentique, en possession d’une certaine autorité. Il n’y a ni hésitation, ni prudence, ni manque d’assurance. Pour tous les romanciers, le défi consiste donc à se créer une certaine individualité. Les lecteurs pourraient remarquer qu’ils ont tendance à continuer à lire lorsque cette identité, séduisante ou non, se connait au moins elle-même et guide son lectorat. »
(The Bestseller Code, de Jodie Archer & Matthew L. Jockers, p.121)