Tu peux trouver une version éditée de ce journal dans ma newsletter (Substack).
La version intégrale (fautes et anglicismes inclus) est disponible dans mon jardin numérique, Sylves. La publication s’y fait au jour le jour.
Bonne lecture – Enzo.
Lundi 01 mai
Je préfère les séries taïwanaises aux séries chinoises, même si ces dernières sont, dans l’ensemble, de bien meilleure qualité.
Pourquoi donc ? Peut-être parce que la sensibilité taïwanaise est plus proche de la nôtre (l’influence américaine se fait sentir). Taïwan regarde à l’international quand la Chine se regarde le nombril (et quel nombril !).
Le mandarin parlé à Taipei est saupoudré d’expressions anglaises (ce qui doit renforcer cette impression de familiarité que j’éprouve) ; les personnages féminins ne se limitent pas aux nunuches soumises au patriarcat (thank Heavens!) ; ces dernières années, les rôles se sont diversifiés, on peut voir les minorités à l’écran, même dans des séries mainstream.
Mardi 02 mai
Le langage littéraire, nous dit-on, devrait se méfier du familier, comme si ce registre était un peu trop près de son cousin honni, le vulgaire. Parfois, cette suspicion va jusqu’à s’étendre au registre courant : pour certain·es, la (bonne/vraie) littérature ne devrait être que soutenue.
Personnellement, je fais feu de tout bois. Peu m’importe si telle expression est soutenue, courante ou familière. Je suis pour un panachage des registres, un style qui s’éloigne de la rigueur austère du classicisme et embrasse la variété.
Quand je me suis exilé, j’ai dû laisser derrière moi toute prétention au « bon gout », si tant est que je l’aie jamais acquis. Les années passant, je développe un rapport pragmatique à ma langue maternelle ; sa sacralité me parle de moins en moins.
J’aime les mots rares, les malfamés, les coquins, les régionalismes et ces expressions issues de tous les coins de la francophonie. De plus en plus, j’aime le français pour ce qu’il est, et non ce qu’il devrait être.
Évidemment, je trouve encore en moi des fantasmes de langue pure et élégante, froide et belle comme la plume de Yourcenar… Ils sont là, je ne peux pas le nier, mais leur attrait diminue avec l’âge au point que j’espère les voir se dissoudre entièrement.
Mercredi 03 mai
Face à tous ces déclinologues de la langue française, je veux célébrer la vitalité contemporaine de cette langue qui m’aide à penser chaque jour, mais qui n’est pas celle qui m’entoure continuellement et avec laquelle j’aime et je travaille (l’anglais).
Je veux me concentrer sur la joie et l’émerveillement linguistiques ; et oublier la peur scolaire de la faute, la crainte sociale du ridicule. Ma langue maternelle n’est pas langue de discrimination ; je la veux à l’image de mes valeurs : inclusive, tolérante, progressiste.
Peut-être que certains usages me choquent, que je ne comprends pas l’apparition de certaines expressions et que j’ai parfois l’impression que leur français n’est pas le mien… Mais peu importe, car le français leur appartient autant qu’à moi. Ils ont la liberté d’en faire ce qu’ils veulent ; et j’en ferai de même de mon côté.
Jeudi 04 mai
Le couronnement de Charles approche.
Au bureau, quelques discussions sur la famille royale : une telle trouve que Charles et Camilla sont des âmes sœurs ; une autre que Camilla est evil et Diana pas aussi parfaite qu’on a voulu nous le faire croire. Presque tout le monde espère que William remplacera vite son père. On s’intéresse déjà à George. Mais personne ne semble prêter attention à la réalité de la monarchie : on s’arrête au symbole, aux rêves. On ne veut pas penser au fait que le roi ne paie pas d’impôts sur les successions, est souvent au-dessus des lois (les eaux troubles du King’s Consent) et n’a aucune légitimité (qui l’a choisi, si ce n’est maman et… Dieu ?).
Quand je fais remarquer tout cela (comme je suis français, on attend de moi que j’occupe la position antimonarchique et républicaine — what can I say?), on me dit que les alternatives ne sont guère meilleures : apparemment, élire un chef d’État, avec la corruption de la classe politique, ne résoudrait aucun problème…
Cela veut-il dire qu’un nombre (trop) important de la population serait satisfait de ne pas avoir d’élections et de vivre en autocratie ? Peut-être.
Mais en réalité, je crois de plus en plus qu’une frange importante de mes concitoyens et de mes concitoyennes préfère le statu quo, les traditions, même imparfaites et révoltantes, tant que cela leur permet de ne pas penser à des alternatives (même si ces dernières leur seraient plus profitables).
Le connu réconforte même quand il est inconfortable.
Vendredi 05 mai
Selon notre tempérament, nous portons un regard positif ou négatif sur les choses de la vie.
Dans l’ensemble, l’existence, c’est un verre à moitié rempli : il n’est pas vide, il n’est pas plein, mais nous avons tous·tes une opinion tranchée sur le sujet.
On a l’impression de deux camps irréconciliables, chacun ayant sa vérité et la défendant mordicus. L’un·e ne voit que le vide, l’autre que l’eau. Pénurie/rareté versus abondance. Deux visions du monde qui s’opposent.
En réalité, les deux camps ont raison : tout dépend de ce à quoi on prête attention.
Le même mécanisme est à l’œuvre pour ce qui est de la nature humaine : l’être humain est-il bon ou mauvais ? Prenez un siège, placez vos paris.
*
Spontanément, je doute des gens, de leurs motivations et je suis prompt à blâmer autrui (et moi-même davantage, sinon ça ne serait pas drôle).
Quand je regarde l’état de notre planète, les pensées négatives m’assaillent. Autour de moi, je vois tout ce qui manque et tout ce qui va mal… mais j’ai compris que cette manière d’appréhender le monde (en plus de me rendre malheureux) n’est pas plus correcte que l’optimisme et la générosité d’esprit des voisin·es.
Mon misérabilisme naturel ne me donne pas une vision plus réaliste, plus vraie du monde, contrairement à ce que je peux croire et à ce que beaucoup de gens affirment.
Voir le bien et l’abondance, ce n’est pas pour autant ignorer le mal et la rareté ; ce n’est pas porter des œillères et se boucher les oreilles. C’est simplement entretenir l’émerveillement au quotidien, c’est ouvrir ses yeux et remarquer ces petits détails, comme cette jolie fleur qui pousse au milieu des détritus. C’est ce focaliser sur le positif. C’est faire le pari du bonheur.