Lundi 20 novembre
Je lis le long portrait de Joyce Carol Oates dansThe New Yorker. Bien que positif, je le trouve assez monstrueux… même s’il est vrai qu’on ne peut la présenter autrement : le nombre de livres publiés, son obsession de l’écriture, etc. Tout fait d’elle un monstre des lettres américaines.
D’une certaine manière, je suis soulagé à l’idée qu’on n’écrive jamais d’articles à mon sujet (et on n’en écrira pas). Il y a quelque chose de réconfortant à se savoir une figure mineure du monde littéraire, si mineure que peu de gens savent qu’elle existe.
Je n’aimerais pas cette attention : à partir du moment où les journalistes écriraient sur moi, je cesserais de m’appartenir. Je ne pourrais plus contrôler mon image.
Évidemment, je suis curieux : que pourrait-on écrire au sujet d’Enzo Daumier ? On lirait ce Journal avec une attention renouvelée dans l’espoir de trouver un angle, une approche, une perspective. Mais ce Journal n’est pas intime : c’est un dépôt de mes pensées. Je m’y dévoile autant que je m’y cache… Certes, on y découvre l’écrivain, mais assez peu l’humain. Ce qui n’est pas plus mal : l’homme que je suis n’est pas intéressant. Ma vie n’a d’intérêt que pour moi (et c’est déjà pas mal !).
Mardi 21 novembre
Ne serait-il pas génial de participer à l’élaboration d’une série de romances gays (disons), où chaque roman, écrit par un·e auteurice différent·e, pourrait se lire indépendamment, mais entretiendrait des liens avec les autres tomes (objets, personnages, etc.) ?
Les anglophones l’ont déjà fait. Il y a trois ans, j’étais tombé sur une série autour d’un ange de Noël. Cette semaine, c’est une série de 8 romans qui se passent dans la même Université (Franklin U).
J’ignore pourquoi l’idée m’emballe autant. Peut-être parce que l’écriture et l’autoédition sont une pratique solitaire… et que tout ce qui peut briser cette solitude est le bienvenu. Peut-être parce qu’un projet à plusieurs, où chacun garde une grande indépendance tout en comptant sur le soutien des autres, est ce qu’on peut espérer de mieux dans notre art ?
Mercredi 22 novembre
Je ne sais pas trouver des titres intéressants pour mes romans. Ceux que j’aime bien ont été pensés pour des projets qui n’ont jamais abouti (et n’aboutiront jamais). C’est dommage. C’est même frustrant. Mais que puis-je y faire ? Il faut accepter ses propres limites. Il y a des domaines dans lesquels on ne peut pas être bon. Trouver un titre qui sonne bien, ce n’est pas pour moi. J’ai essayé ; j’ai échoué. Peut-être suis-je trop terre à terre, incapable d’aller au-delà de la description clinique du contenu.
À défaut d’être original, quand j’ai intitulé mon dernier roman le Youtubeur (2020), j’ai été le plus honnête possible. C’est l’histoire amoureuse d’un Youtubeur. Voilà. Que les lecteurices ne viennent pas se plaindre d’avoir été trompé·es par un titre mystificateur !
Jeudi 23 novembre
Je me suis donné une règle à laquelle j’essaye de me tenir : en dehors du boulot, on ne pense pas au boulot. Ce n’est pas toujours facile, j’échoue même à l’occasion, mais c’est une décision saine : je serais certainement de ceux qui ne pensent qu’à cela, car ils n’ont pas de vie en dehors du cadre professionnel.
J’ai déjà mentionné ici que je trouve dur de privilégier ma pratique artistique quand c’est mon (autre) travail qui paie toutes les factures. J’ai la chance d’avoir un job qui, si je le souhaitais, ne me prendrait pas la tête. Mais ma nature est telle que je ne peux m’empêcher de m’investir. Je suis de ceux qui vont « above and beyond », comme on dit en Angleterre, une manière polie de décrire l’exploitation à laquelle je me soumets volontairement. J’ai un besoin viscéral de stimulation : le traintrain quotidien du bureau me donne envie de me tirer une balle. Alors, on se tourne vers moi quand on a besoin de faire ci ou faire ça. Je prends plus de responsabilités que je ne devrais, et ce, avec le sourire.
Le moins que je puisse faire, c’est donc d’avoir cette règle. Une sorte de garde-fou. Un rappel aussi : le jour où je changerai de poste, d’employeur ou de secteur, je n’amènerai avec moi que mes compétences et mes projets personnels… Quoi qu’il arrive dans ma vie, mes manuscrits seront toujours là. L’écriture sera certainement la seule constante, et la seule qui mérite donc mon attention les soirs et les weekends.
Vendredi 24 novembre
L’autre jour, je suis retourné sur Brain Pickings (renommé The Marginalian il y a quelques années), le site de Maria Popova.
Il y a dix ans, j’étais un lecteur assidu et admiratif, mais j’ai fini par développer une allergie. De nos jours, j’ai à peine fini de lire un paragraphe que je veux déjà la claquer.
Ne sait-elle pas faire des phrases simples et claires ?
Je me méfie de ces textes écrits « avec style », où les mots nobles et les tours de phrase recherchés cachent, en réalité, assez mal la vacuité de la pensée. Je n’aime pas ce style fumeux, qui ne parvient qu’à nous faire tousser à la lecture.
« Every year in the decade since, I have added one new learning and changed none of the previous. (It can only be so – a person is less like a star, whose very chemistry, the source of its light, changes profoundly over its life-cycle, and more like a planet, like this planet, whose landscape changes over the ages but is always shaped by the geologic strata layered beneath, encoding everything the planet has been since its birth.) »
Bla bla bla. Je n’aime pas les styles grandiloquents.
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Là où Maria Popova force l’admiration, toutefois, c’est avec son projet lui-même et sa longévité : cela fait 17 ans qu’elle publie sur ce site — lisant des centaines, voire des milliers de livres par an…
C’est dommage que nous n’ayons pas un équivalent francophone… Ceci s’explique peut-être par le fait qu’il serait impossible d’en vivre de notre côté de l’Atlantique.
(Julien Simon s’y était essayé sur son site Page 42, mais il n’était pas allé au-delà de quelques articles. C’est bien dommage.)
Personnellement, j’en serais incapable : je n’aime pas prendre de notes… et j’ai bien peur que ça soit la base de ce travail de curation et de présentation.
Samedi 25 novembre
Le terminal 2 de l’aéroport d’Heathrow m’a offert l’expérience d’embarquement la plus agréable de tous les aéroports que j’ai jamais visités. Surtout les contrôles de sécurité : j’ai eu l’espace et le temps nécessaires. À aucun moment n’ai-je été stressé. Si on me l’avait dit, je ne l’aurais pas cru.
Malgré le monde, le terminal était calme : habituellement, les sons rebondissent en une cacophonie épuisante. Comme dans les gares. Là, visiblement, ils ont tout fait pour minimiser les échos. Un vrai luxe.
Tout cela a fait que, lorsque notre vol a été retardé d’une demi-heure, j’étais zen. Comme sur un petit nuage. Il faut dire, aussi, que j’avais passé une heure en compagnie de David Tennant et de Catherine Tate…
Dimanche 26 novembre
Londres — Bangkok
Heureusement qu’on finit par retourner là d’où l’on vient, sinon on perdrait sept heures de notre vie. Paf. Merci, au revoir.
C’est peut-être ce qui perturbe le plus notre corps : l’angoisse de ne jamais retrouver ces sept heures. Où sont-elles passées ? Bim, le jet-lag.
Et on reste éveillé au milieu de la nuit à se poser cette question… Que se passerait-il si on ne les récupérait jamais ?