Lundi 22 juillet
Je ne suis pas sûr que je tomberais amoureux de Mervyn Peake si je le découvrais aujourd’hui.
Je ne suis plus le lecteur de prépa que j’étais alors, émerveillé par des textes littéraires au style unique. Ce n’est plus ce que je recherche — je veux toujours que l’écriture soit belle, évidemment, mais elle doit être avant tout discrète. Un bon style est un style qui sert l’histoire et qui n’occupe pas le devant de la scène.
Aurais-je encore la patience de lire Mervyn Peake ? Je trouverais certainement cet éblouissement (si je l’éprouvais encore) intimidant… et il y aurait des longueurs insupportables.
Autant que possible, j’évite maintenant les pavés. La dernière trilogie de Robin Hobb m’a vacciné à jamais contre les romans-fleuves qui n’ont rien à dire ou si peu. Je préfère la brièveté. Je ne sais si c’est dû à la maturité ou au fléau que sont les réseaux sociaux.
Mardi 23 juillet
Je perçois deux pôles créatifs chez les auteurices. Deux types d’attitudes, si l’on veut.
Il y a celle chez qui l’impulsion créatrice est intérieure ; elle s’efforce d’écrire un manuscrit qui est le plus fidèle possible à la vision qu’elle se fait de son histoire. Elle prête attention à ses lecteurices, certes, mais son but principal est d’exprimer ce qui jaillit mystérieusement en elle. Elle n’est pas prête à faire des concessions pour que son histoire soit appréciée du plus grand nombre. Ce serait là trahir sa vérité.
Puis, il y a celui qui écrit pour son lectorat. Il construit son histoire en fonction des gouts supposés de ce dernier. Son attention est portée sur l’effet que chaque scène de son manuscrit suscitera chez les autres. Il est moins attaché à exprimer son jardin intérieur, car, selon lui, l’écriture est, avant tout, acte de partage.
L’un et l’autre se valent, et il existe un spectre continu entre eux où chaque romancier peut se placer comme il l’entend.
Je pense que le second type est plus à même d’écrire dans les littératures de genre, où les codes sont clairement balisés et les gouts des lecteurices plus facilement prévisibles. D’ailleurs, c’est souvent là que l’on trouve les succès commerciaux stratosphériques. (Il suffit de lire les conseils des écrivains de cette catégorie pour voir à quel point leur lectorat est au centre de leurs préoccupations.)
Mais, c’est très souvent la première catégorie qui, en sortant des sentiers battus, fait bouger les codes et repousse les limites de ce que l’on jugeait jusqu’alors acceptable.
Les deux sont nécessaires à un écosystème littéraire riche. Et il serait idiot de croire que l’une produit des romans de meilleure qualité que l’autre.
Mercredi 24 juillet
Jack O’ Frost (2023) est un BL japonais de 6 épisodes de 25 minutes, que j’ai regardé à nouveau aujourd’hui. J’en avais gardé un excellent souvenir ; j’ai apprécié ce second visionnage encore plus.
L’amnésie sélective du protagoniste permet une exploration de la relation amoureuse post-mortem : puisqu’ils ont rompu juste avant l’accident, l’un sait que la relation est terminée et va jusqu’à prétendre qu’elle n’a jamais existé ; l’autre ne comprend pas les émotions puissantes qu’il ressent pour ce « colocataire » au sujet duquel il a tout oublié. Ce n’est pas une série Boy meets Boy, ce qui la rend encore plus intéressante.
Ici, les deux protagonistes, maladroits, ne cessent de commettre des erreurs au point d’en obscurcir leurs sentiments. Contrairement à ce que voudrait nous faire croire la romance mainstream, l’amour est rarement limpide, surtout quand il s’installe dans la routine du quotidien. Les flammes de la passion s’estompent vite ; l’évidence des sentiments devient trouble et laisse place aux doutes, surtout si la communication dans le couple n’est pas saine. Les non-dits s’accumulent ; les rancœurs enveniment les interactions.
La force de Jack O’ Frost est de dramatiser ces hivers que toute relation amoureuse finit par traverser. De nos jours, si l’on en croit le nombre de divorces dans nos sociétés occidentales, beaucoup de couples ne survivent pas aux rigueurs hivernales, mais Jack O’ Frost rappelle que le printemps ne manque jamais de succéder à l’hiver. Évidemment, seuls ceux qui font l’effort de communiquer et d’être honnêtes avec leurs sentiments pourront gouter aux plaisirs de la plus douce des saisons.
Jeudi 25 juillet
Étrange que certaines personnes puissent considérer que le « M/M » soit un trope de la romance. C’est-à-dire une simple variation du schéma général : boy meets girl; overbearing boss meets submissive secretary; slutty bodybuilder meets saint girl… et enfin, à moitié caché dans cette liste interminable : boy meets boy.
En réalité, il ne s’agit pas d’un simple changement d’ingrédient. Quand on passe de la romance hétéro à la romance MM, c’est comme passer de la cuisine italienne à la cuisine japonaise. Le gout et les odeurs ne sont pas les mêmes ; la dynamique entre les protagonistes diffère, car nous avons affaire à deux hommes, et non pas à un « vrai » homme (le top) et à une femme qui porterait la barbe (le bottom).
Malheureusement, certain·es artistes, qui officient dans le milieu du MM, du yaoi et du BL, oublient que la romance entre personnages du même sexe, dans une société où les rôles sont encore trop genrés, exige un changement de paradigme. Prétendre qu’on peut plaquer les attentes du couple hétéro sur le couple homo (et beaucoup ne s’en privent pas !), c’est comme manger de la glace à la vanille avec ses frites. Personne ne t’en empêche, mais ne viens pas te plaindre si tu passes pour l’idiot du village.
Vendredi 26 juillet
Je lis l’introduction de Straight Acting — The Many Queer Lives of William Shakespeare, de Will Tosh, qui vient de sortir et que je me suis offert pour mon anniversaire.
Et il y a quelques perles, dont celle-ci :
« Je ne vois pas la nécessité de rechercher des signes incontestables que Shakespeare était gay ou bi, parce que je ne vois aucun mal à reconnaitre qu’il était un artiste queer, travaillant dans une culture qui a tout autant permis que frustré son exploration imaginative du désir homosexuel. Depuis bien trop longtemps, il incombe aux chercheurs et aux biographes de fournir des “preuves”, au-delà de tout doute raisonnable, que des hommes estimés comme Shakespeare étaient tout sauf de vrais hétéros fanfaronnants. Eh bien, je n’accepte pas les termes d’une méthodologie dont les exigences sentent bon l’homophobie. Pourquoi prouver ce qui est clairement évident pour quiconque a l’intelligence de le voir ? »