Journal de juillet 2024

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Lundi 15 juillet

J’ai regardé à nouveau les deux saisons du BL coréen To My Star. L’une dure deux heures et la seconde un peu plus de quatre heures… 

Par convention (ou par fainéantise), la romance s’intéresse le plus souvent à la première rencontre. Le fameux Boy meets boy. Et elle se termine sur la promesse d’un Happy Ever After (HEA), ou d’un Happy For Now (HFN). 

La première saison est ce qu’il y a de plus classique : un chef taciturne rencontre une star de cinéma (d’où le titre) et l’accueille chez lui le temps que le scandale dans lequel ce dernier est empêtré soit résolu. Ils tombent amoureux… Tout est bien qui finit bien.

Jusqu’à ce que commence la seconde saison où l’on découvre qu’ils ont rompu soudainement et brutalement. Le chef a disparu sans laisser de trace et la star se morfond depuis un an déjà sans pouvoir le retrouver.

Une histoire d’amour heureuse n’est pas intéressante. Pour qu’une romance fleurisse dans le cœur de ses spectateurices (ou des lecteurices), elle doit paraitre incertaine, voire impossible. Cette seconde saison explore tout en douceur les difficultés des protagonistes, entre soulagement des retrouvailles et douleur de la trahison. Elle met en scène des adjuvants attachants (une petite fille et sa mère célibataire) et des opposants ambigus (l’ex tant redoutée ! et des villageois rustres). 

Son originalité réside dans le fait qu’elle explore ce qui se passe après une rupture ainsi que les raisons qui ont abouti aux traumatismes amoureux.

Il n’y a pas ici de « seconde chance », dans le sens où les protagonistes vont retomber amoureux après plusieurs années de séparation. (« Second chance at love » est un trope romantique connu, mais je ne pense pas que la seconde saison de To My Star s’inscrive dans cette veine.) Nous assistons à une péripétie supplémentaire dans ce long périple qu’est la relation amoureuse.


Mardi 16 juillet

Je l’ai déjà dit auparavant. Et je le répèterai souvent : la romance s’intéresse à l’amour. Toutes les formes d’amour. 

Et c’est bien dommage qu’elle n’explore pas plus souvent ce qui se passe après la fin conventionnelle d’une histoire d’amour (le HEA ou le HFN auxquels je faisais référence hier).

C’est évidemment plus difficile. La première rencontre est tellement bien balisée qu’on peut l’écrire les yeux fermés, mais si l’autrice sort des sentiers battus pour s’intéresser à un autre moment de l’histoire du couple, les dangers abondent ; elle ne peut pas compter sur l’élan originel, sur le frisson des premiers moments, et voir où ça mène. Elle doit méticuleusement penser son intrigue, bien peser, puis articuler les raisons de la crise qu’elle nous donne à lire. Funambule, elle doit flirter avec cette vérité que la romance semble fuir : l’amour ne triomphe pas toujours de tout.

Je comprends que beaucoup d’entre nous préférions rester dans la safe zone de la romance : il est plus facile de faire rêver le lecteur quand on prétend que tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes. Il faut avoir beaucoup d’adresse pour explorer les problèmes de manière crédible sans faire éclater le rêve/le fantasme des lecteurices.


Mercredi 17 juillet

Quand un genre comme la romance a des tropes bien définis, il apparait vite stéréotypé et court le risque de tomber dans le cliché… 

Il m’arrive d’être un lecteur-baleine… et durant ces phases-là, je lis romance après romance sans pouvoir m’arrêter. J’ai remarqué que tout finit par se ressembler et je ne manque pas de me lasser devant le manque d’originalité. 

Handsome Boy Meets Handsome Boy. Ils tombent amoureux. Des détails insignifiants retardent la fin heureuse. Ils finissent ensemble. Dans ce roman, le protagoniste est blond ; dans tel autre, il est brun. Ici, il est sexy ; là, il est fucking charming. Mais la formule ne change quasiment pas.

Ma lassitude ne vient pas de la mauvaise qualité de ces romances : chacune, lue séparément, est bien faite. L’autrice s’est appliquée à faire battre mon petit cœur. Et très souvent, mon petit cœur bat la chamade ! 

Mais sous prétexte qu’elle est littérature-doudou, la romance se permet souvent d’être complaisante et n’ose pas se renouveler. Même la romance gay devient vite conventionnelle quand elle est subordonnée à l’hétéronorme.

C’est en regardant To My Star 2 que je prends conscience qu’il existe des alternatives et qu’il est dommage qu’on ne les explore pas plus souvent.


Jeudi 18 juillet

« Ce serait formidable si vous pouviez décider de vous contenter d’un résultat satisfaisant, de vous traiter plus gentiment ou de “vous détacher du résultat et de tomber amoureux du processus”, un conseil que j’ai moi-même prodigué par le passé. Mais le fait est que vous ne pouvez pas simplement prendre la résolution de ne pas être troublé par des schémas de pensée qui ont gouverné votre vie pendant des décennies.

Ce que j’ai découvert, en revanche, c’est qu’il est possible d’adopter une attitude de défi délibéré à l’égard de son maitre intérieur, comme une sorte de jeu plein d’entrain — un jeu dans lequel vous cultivez activement un sentiment de délectation en ignorant complètement les normes qui pèsent habituellement sur vos journées. C’est ce qu’on appelle “rire au nez des normes”. » (Oliver Burkeman, The Imperfectionist, newsletter du 10 juillet 2024)


Vendredi 19 juillet

Se moquer de nos propres exigences en matière de qualité est, en effet, la seule manière d’avancer dans un projet artistique. Elles ne disparaitront pas pour autant et nous devrons, au moment adéquat, les prendre au sérieux… Mais en attendant que ce moment ne vienne, il vaut mieux les traiter comme on traiterait un parent acariâtre qui n’est jamais satisfait : avec légèreté, nonchalance et humour.


Samedi 20 juillet

Dans The Construction of Homosexuality (1988), David Greenberg divise les expressions sociales de l’homosexualité en quatre catégories : l’homosexualité transgénérationnelle, l’homosexualité transgenre, l’homosexualité de classe et l’homosexualité égalitaire.

La première désigne des dynamiques sexuelles basées sur l’âge des amants : le plus âgé est actif (et/ou dominant) quand le plus jeune accepte de se faire pénétrer (et/ou dominer). C’est le modèle que l’on retrouve en Grèce Antique, par exemple.

Dans la seconde, un des partenaires occupe le rôle de la femme, en agissant et en s’habillant comme tel. C’est le cas, par exemple, des berdaches d’Amérique du Nord, qui sont associés au culte chamanique.

L’homosexualité de classe s’exprime le plus souvent dans la prostitution et/ou le favoritisme : les représentants des classes aisées ont les moyens d’acheter des faveurs sexuelles. La relation est donc monnayée, ou, de manière plus subtile, récompensée par des avantages tels que la promotion sociale, etc. (c’est le cas des monarques et de leurs mignons).

Enfin, pour la dernière, celle qui est la plus pratiquée de nos jours en Occident, il n’y a pas d’équivalence entre statut social et rôle sexuel (actif/passif). Il s’agit d’une relation entre deux hommes égaux, parfois issus d’un même milieu, souvent appartenant à une même tranche d’âge.


Dimanche 21 juillet

Au collège, mon premier coup de cœur littéraire a été la Nuit des Temps (1968) de Barjavel en 6ème. (J’ai tenté de relire ce roman il y a quelques années, mais j’ai dû arrêter ma lecture au bout de quelques pages, horrifié par son sexisme et son racisme. Il y a des histoires qui vieillissent très mal ; celle-ci en fait partie.)

En 5e, l’écrivain que je n’étais pas encore a vu son imagination s’enflammer à la lecture de Vendredi ou la vie sauvage(1971) de Michel Tournier. J’ai certainement écrit à ce moment-là ma seule fanfiction.

Puis, il y a eu la découverte de Harry Potter (1997-2007), qui a défini ce qu’était la lecture pour une génération entière et qui était grandiose, non pas pour ses qualités littéraires, mais pour l’expérience sociale qu’offrait cette série, qui a très vite été adaptée au cinéma.

À 16 ans, après un échec mémorable l’année précédente, je suis tombé amoureux des Mémoires d’Hadrien (1951) de Yourcenar. 

À 22 ans, je vouais un culte à Titus d’Enfer (1946) et à Gormenghast (1950) de Mervyn Peake. Enfin de la fantasy littéraire au style éblouissant !

À 30 ans, j’étais amoureux de David Levithan et de son Two Boys Kissing (2013).

Et à la veille de mes 37 ans ? Je lis et je relis Ursula K. Le Guin à intervalle régulier. Elle est la seule constante dans mes lectures qui évoluent constamment.