Journal d’août 2023

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Lundi 07 août

Voilà pourquoi 180 Degree Longitude Passes Through Us est une série LGBT et non du BL. 

Le scénariste et réalisateur, Punnasak Sukee, est influencé par la littérature et le cinéma gay occidentaux : quand Inthawut fait lire le Banquet de Platon à Wang, l’imaginaire qui est invoqué est celui d’une relation pédérastique entre un éraste et un éromène, c’est-à-dire un homme plus âgé qui s’amourache d’un jeune éphèbe (ici le fils de sa meilleure amie).

Comme il s’agit d’une télésérie LGBT, 180 Degree Longitude explore les conséquences de cet amour naissant, condamné à être avorté. Malgré l’intensité des émotions de Wang, Inthawut, un « vieux gay » qui a intériorisé l’homophobie de sa jeunesse et a vécu sa vie dans le regret et la frustration, se défile dans le dernier épisode. Tout cela démontre encore une fois que, dans la production gay de veine traditionnelle, il n’y a pas d’amour heureux.

Si cette série se démarque des autres productions homoromantiques thaïes, elle sonne aussi un peu faux, comme si on avait forcé l’histoire à prendre une direction qui ne s’imposait pas d’elle-même… Quand les spectateurices savent qu’une fin heureuse est possible (et c’est là toute la force du BL : dire au monde entier que les hommes qui aiment les hommes ne sont pas condamnés au malheur et aux fins tragiques), le pessimisme final (certain·es préféreraient sans doute parler de réalisme doux-amer) apparait comme gratuit et arbitraire.

De nos jours, condamner l’amour queer à la tragédie n’est plus que la marque d’une oeuvre d’art qui veut qu’on la prenne au sérieux, et ce à tout prix.


Mardi 08 août

Je reste convaincu que les études de lettres nuisent aux auteurices. Elles attirent leur attention sur les mauvais aspects de l’écriture, les forment à l’exégèse des textes (tout est expliqué et explicable a posteriori) et leur donnent des modèles qui, parce qu’ils sont devenus classiques, sont déjà dépassés. Elles leur font croire que le but de la littérature est de durer dans le temps, mais ce qui devrait importer le plus à l’auteurice, c’est l’ici et le maintenant. On ne saurait écrire pour les générations futures ; on doit d’abord parler à son époque et à ses contemporain·es.


Mercredi 09 août

Pourquoi est-ce que j’écris ? Je sais pourquoi j’écris ce journal, car ça répond à un besoin que j’ai de clarifier ma pensée et d’en garder la trace. En le publiant, I pay forward, c’est-à-dire que je le partage dans l’espoir que mes lecteurices pourront s’en servir comme un terreau pour leurs propres réflexions, comme j’ai utilisé, et utilise encore, les journaux et les blogs des autres.

Ce qui est moins clair, toutefois, c’est la raison pour laquelle j’écris de la fiction. Peut-être parce que j’ai commencé il y a plus de vingt ans, quand j’étais quelqu’un d’autre, un adolescent, coincé dans sa caverne, qui ne connaissait le monde qu’indirectement, et donc faussement. À l’époque, l’écriture me permettait d’exister. J’avais espoir qu’elle prouverait ma valeur et ma légitimité à vivre dans ce monde dans lequel je ne semblais pas être le bienvenu. 

Maintenant, je ne sais plus trop. C’est peut-être pourquoi, depuis quelques mois, quelques années même, j’ai une crise de foi… J’ai besoin de clarifier mes motivations, sans quoi cet entredeux s’éternisera.


Jeudi 10 août

Tentation de dépeindre le parc à côté de chez moi et les effets du soleil matinal sur ce dernier… cette beauté qu’il serait si facile de montrer sur une photo mais que je suis incapable de décrire avec des mots. Il faudrait que j’emploie des artifices littéraires, c’est-à-dire que je remplace une beauté visuelle par l’élégance des mots et de leurs sonorités. 

Décrire le parc tel qu’il est : lumière d’or qui traverse horizontalement les branches et se réfléchit sur les feuillages verts ; cette description, pourtant la plus correcte et la plus juste, ne suscite aucune émotion quand on la lit… Or il semble que le plus important dans cet acte de partage soit de provoquer une émotion chez les lecteurices, et donc de recréer artificiellement un émoi, qui n’est pas celui que j’ai ressenti. 

Pour être le plus juste, il ne faut donc pas être fidèle à la réalité ; la littérature impose une manière différente de dire le vrai.


Vendredi 11 août

Prendre du recul ; garder mes distances ; me désinvestir… 

J’ai un rapport passionné avec le monde. Si quelque chose m’intéresse, je ne reste pas sur le bord de la voie à regarder le train passer. Je suis dans le train, peut-être même sur les genoux du conducteur. Je m’implique spontanément.

On comprendra sans mal à quel point me désengager de mon travail peut me couter. Naturellement, I have my fingers in too many pies, comme on dit de ce côté-ci de la Manche. Je suis partout, je m’épuise à la tâche, ça me convient dans l’ensemble, car j’aime occuper mes journées… mais ce qui m’agace le plus, c’est que les collègues trouvent cela normal. L’ingratitude de ceux qui ont une situation confortable parce que je fais leur travail me devient insupportable. 

Malgré mes tendances asociales, je suis un team-player. Dans une équipe, je travaille pour le groupe et non pour moi. Ça me semble naturel. We are all in it together.

Mais après cinq années… je pense qu’il est temps que j’apprenne à ne gérer que mes petites affaires… et, petit à petit, à préparer mon départ. Je dois regarder mon équipe avec objectivité et faire le deuil de ce potentiel qui ne se réalisera pas, ou se réalisera sans moi.


Samedi 12 août

Dans la bibliothèque de mon bureau, j’ai un épais volume de Matteo Bandello, publié aux Belles Lettres. (C’est de lui que Shakespeare s’est inspiré pour la trame de Roméo et Juliette, de Comme il vous plaira et de La nuit des rois.)

Comme toutes les éditions bilingues des Belles Lettres, celle-ci coute un bras… et comme tous les livres qui m’ont couté un bras, je ne l’ai pas lu… Ma bibliothèque est composée de nombreux ouvrages que je n’ai pas lus et que je ne lirai peut-être jamais. La possession des livres ne se traduit pas obligatoirement par la jouissance de ces derniers… Ils sont là « au cas où »… pour faciliter, dans quelques années, l’émergence de la sérendipité.


Dimanche 13 août

Alexis Hall a un don certain pour les dialogues bien menés, les répliques spirituelles et drôles… J’avais beaucoup apprécié son Boyfriend Material, mais je n’ai pas terminé la suite, Husband Material (ma faute ? la sienne ? il faudra que j’y retourne pour le découvrir). 

Il a écrit quelques romans qui se passent à Oxford (Spires), que je m’étais promis de lire pour me rappeler mes années oxoniennes et mes propres histoires.

En ce moment, je lis de lui Something Fabulous, une romcom queer de 2022 qui se passe au XIXe siècle. Une histoire de fiançailles, de jumeaux et de ducs. Divertissante, sans le moindre doute, mais qui manque d’enjeu. La preuve que les dialogues, même les plus spirituels, ne font pas tout.