Journal de mai 2024

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Tu peux trouver une version éditée de ce journal dans ma newsletter (Substack)
La version intégrale (fautes et anglicismes inclus) est disponible dans mon jardin numérique, Sylves. La publication s’y fait au jour le jour. J’applique ici l’orthographe rectifiée.

Bonne lecture – Enzo.


Mercredi 01 mai

« Les techniques qui donnent vie à nos personnages ont tout à voir avec l’accumulation patiente de détails. Les personnages du roman émergent comme la neige se dépose : petit à petit. Les flocons de neige individuels ne sont ni ici ni là. Pris ensemble, ils façonnent un paysage. »

Harry Bingham,How to Write a Novel (trad. DeepL & ED)

Jeudi 02 mai

Ça fait deux jours que je n’ai pas écrit mes morning pages, car ma routine matinale ne me satisfait plus. 

Commencée le 18 novembre 2022, sur les conseils de Julia Cameron, cette pratique m’a beaucoup apporté. Elle m’a permis de réfléchir à l’écriture et à ma vie chaque matin, au réveil (et de justifier ma passion grandissante pour les stylos-encre et le thé, que j’ai intégrés à ce rituel !)

Écrites au fil de la plume, sans censure aucune, dans un franglais brouillon, ces pages ont fait émerger des envies, ont cristallisé des obsessions, ont mis en lumière des zones d’ombre de ma personnalité. J’ai pu observer mes contradictions, repérer des pensées cycliques, et, ainsi, mieux me comprendre. Tantôt thérapeutiques, tantôt motivationnelles, elles m’ont accompagné du lundi au vendredi telles des compagnes fidèles. 

L’habitude est à ce point ancrée en moi que je sens maintenant un manque. Ces morning pages sont addictives. Plutôt que de les arrêter de manière permanente, j’aimerais les transformer en evening pages (il faut bien que je continue à utiliser mes stylos encre chaque jour !), mais je n’ai pas encore eu la force de m’y mettre : s’installer dans une nouvelle routine, c’est dur.

Vendredi 03 mai

Qu’est-ce que les romanciers aiment le plus ? Raconter des histoires ou écrire des livres ? 

Dans le premier cas, une publication sur le Net devrait suffire à les satisfaire : leur passion, c’est le storytelling, donc le format final (et le média) importe peu. L’essentiel, c’est de pouvoir partager avec le plus grand nombre la vie de ces personnages qui les obsèdent. 

Dans le second cas, c’est l’objet-livre qui prime ; ils feront tout pour voir leur nom sur la couverture d’un livre imprimé et ne se satisferont jamais d’une simple présence en ligne, qui n’est vécue que comme un succédané.

*

Ces dernières années, je me suis aperçu que je n’étais pas romancier, mais écrivain : c’est l’usage du verbe (on peut parler d’obsession, dans mon cas) qui est central à ma pratique. 

Certes, j’adore imaginer des histoires, mais les écrire ne répond pas à un besoin vital : je peux passer des années entières sans toucher à un manuscrit. 

Je pourrais tout aussi bien composer de la non-fiction ou des poèmes, et m’en satisfaire. 

D’ailleurs, c’est peut-être ce que je finirai par faire : j’aime l’immédiateté de la forme brève ; j’aime le partage presque instantané. Si j’avais des retours de mes lecteurices chaque fois que je publiais un blogue ou une newsletter, je pense que l’écriture romanesque perdrait très vite de son importance à mes yeux.

Samedi 04 mai

Je ne suis pas allergique à l’idée de partager mes idées en public (si c’était le cas, je ne publierais pas ce journal), mais je n’aime pas alimenter ces monstres que sont les réseaux sociaux. 

Ils nous forcent à produire du contenu (le plus souvent éphémère), gratuitement, à l’attention des autres utilisateurs, non pas pour les divertir ou les éduquer, mais pour qu’ils passent davantage de temps sur la plateforme. La qualité du contenu importe peu, au final ; c’est la quantité qu’on doit privilégier si l’on souhaite « être visible ». Et plus c’est polarisant, mieux c’est. 

Je refuse d’être l’esclave de l’algorithme toxique de Twitter ou de Threads. Je n’aime pas que ces réseaux sociaux forment des silos où le partage entre plateformes est activement découragé.

Je suis donc avec beaucoup d’intérêt certains écrivains, blogueurs et penseurs qui s’inscrivent dans le mouvement de l’IndieWeb et qui proposent une vision alternative à l’internet des grandes corporations, qui nous pourrit tous un peu-beaucoup la vie. Si ces blogueurs sortent des sentiers battus, c’est parce qu’ils sont le plus souvent des développeurs web (professionnels ou amateurs). Ils ont donc les connaissances techniques nécessaires pour expérimenter.

Mike Grindle est l’un d’entre eux. Depuis quelques mois, il a ajouté à son site internet statique une page (Notes) qui regroupe les micropublications qu’il poste ailleurs sur les réseaux sociaux. Cela veut dire que non seulement ses lecteurs n’ont pas besoin d’être sur les RS en question pour pouvoir lire ce qu’il poste, mais aussi qu’il redevient « propriétaire » de ce qu’il produit et offre gratuitement à ses lecteurices.

[NdA juillet 24 – Mike Grindle a depuis supprimé cette page]

Dimanche 05 mai

« Si tu veux devenir écrivain aujourd’hui, les livres ne sont probablement pas la solution. Tu devrais avoir un site internet et écrire sur celui-ci. Possède une newsletter afin de t’assurer que tu contrôles la relation avec tes lecteurs. Plus important encore, ne t’attends pas à gagner le jackpot et à écrire à temps plein. Peut-être que tu entends parler [de ces chanceux] tout le temps, mais c’est là le biais des survivants en action. On n’entend jamais parler des 10 000 autres personnes qui ont fait la même chose et qui avaient de bonnes compétences en écriture, mais qui n’ont pas trouvé le bon créneau au bon moment et qui n’ont pas attiré l’attention du bon influenceur. »

(Curtis McHale, newsletter du 04 mai 2024, trad. DeepL et ED)