Lundi 20 mars
En rédigeant ma newsletter, je m’aperçois que j’ai perdu l’habitude de critiquer (au sens neutre de « donner un avis ») les séries BL. Mon vocabulaire s’est appauvri au point que seuls me viennent les adjectifs « génial », « émouvant » ou « original », associés à un adverbe d’intensité. J’essaye de creuser, de mettre en place un semblant d’analyse qui ait du sens, mais rien ne me vient. Le vide.
Il y a dix ans, quand nous publiions, Stéphane et moi, plusieurs articles par semaine sur Les Plumes Asthmatiques/LPA, je pouvais écrire des paragraphes entiers. J’avais un avis sur tout (et surtout un avis, comme on dit). J’étais aussi capable de suggérer des améliorations aux amies qui publiaient chez nous.
Toutes ces compétences se sont évaporées faute de les entretenir. Cette fois, ma plume est vraiment devenue asthmatique : elle s’essouffle ; les idées lui manquent. J’ai l’impression d’être retourné à l’époque de l’école primaire/du collège où développer un avis de dix lignes semblait insurmontable.
Mercredi 22 mars
Il y a quelques années, Instagram a permis l’émergence d’une nouvelle génération de poétesses, que l’on a surnommées, non sans un certain mépris, des instapoets (mais l’insulte devient souvent un badge d’honneur, n’est-ce pas ?). Elles ont utilisé cette nouvelle plateforme pour faire entendre leur voix et partager leurs expériences – féminines comme féministes.
Il y avait un besoin parmi les lectrices que personne n’avait soupçonné jusqu’à ce que Rupi Kaur, Amanda Lovelace, Lang Leav ou Nikita Gill ne débarquent. Elles ont eu un succès commercial étonnant.
Toutes celles qui gémissaient de ce que la poésie, moribonde, ne vendait pas, ont découvert que les gens aimaient encore la poésie, la forme brève, mais peut-être pas une certaine poésie : celle qu’on nous gave sur les bancs de l’école et qui nous donne de l’urticaire à la simple mention de son nom.
Que les textes puissent être simples, faciles à lire, en somme démocratiques, a irrité les grincheuses, les gatekeepers de la Poésie (avec une majuscule), qui préfèrent tuer leur amour plutôt que de le partager avec le plus grand nombre. Comble de l’horreur, ces poèmes-apoétiques étaient écrits par des femmes (pas seulement, il est vrai, car Atticus ou Tyler Knott Gregson ont aussi eu beaucoup de succès), pour des femmes, parlant souvent de problèmes de femmes.
La critique misogyne s’en est donné à cœur joie, démontrant, si besoin est, qu’elle était incapable de comprendre, en ce début du XXIe siècle, que l’expérience féminine contenait autant d’universalité que l’expérience masculine.
Jeudi 23 mars
Je me suis beaucoup intéressé à l’Instapoetry (j’en ai écrit moi-même), mais je regrette d’être passé à côté d’auteurs gays, de poésie queer… car ce que Rupi Kaur a fait, j’aurais voulu pouvoir en lire l’équivalent queer.
Certes, il y a Kae Tempest, la figure la plus importante de la poésie british contemporaine, mais Tempest n’est pas né.e sur Instagram – Tempest, c’est un.e poète de scène, un.e orfèvre de la langue, du rythme et des sonorités.
D’ailleurs, on ne peut pas comparer Kae Tempest et Rupi Kaur : ces deux poètes évoluent dans des sphères différentes qui ne doivent pas se croiser souvent…
Puisque j’en ai fait les frais, je me dois de préciser qu’il vaut mieux éviter de les lire l’un.e après l’autre. La simplicité de Kaur fait pâle figure devant la verve de Tempest.
Vendredi 24 mars
J’envie celles qui ont Twitter Blue parce qu’elles ne sont pas limitées à une poignée de caractères. Leur message n’est pas corseté ; il peut s’exprimer comme il le doit et le mérite.
Moi aussi, je pourrais payer les $8/mois. Rien ne m’en empêche, c’est vrai, mais c’est une question de principe. Je refuse de débourser de l’argent pour une plateforme où je suis le produit.
Peut-être changerai-je d’avis, un jour… mais pour le moment, it’s a flat No.
Si je voulais davantage d’espace pour m’exprimer, je retournerais sur Facebook. Là, au moins, c’est « gratuit ».
Samedi 25 mars
Je sens que c’est le printemps, car mon esprit bouillonne déjà d’envies, parfois contradictoires, souvent éphémères.
Je n’aime pas cette saison, car c’est la période où je me fatigue le plus. Ça cogite, ça gamberge, ça va à 120 km/h. Ça se désespère, je me désespère, car je suis incapable de me décider et de m’y tenir.
Je veux écrire en anglais, lire du latin, me remettre au mandarin, continuer le thaï, écrire mes Récits Péninsulaires, retourner à la poésie, poursuivre ce journal, commencer le dessin, pratiquer le Qi Gong… C’est sans fin et je ne fais rien, je me contente de fantasmer sur ce que je pourrais faire. Le degré ultime de la procrastination. Je pourrais passer ma vie à ce petit jeu.
Dimanche 26 mars
Je pense que je finirai par me satisfaire d’avoir écrit une œuvre mineure. Adolescent et jeune adulte, je rêvais de gloire littéraire… mais les choix que j’ai faits ces dernières années m’en éloignent. Je suis à deux doigts de les assumer sans regret.
J’essaye d’écrire au plus près de ce que je suis : un écrivain des marges… Celles qui restent à la périphérie ne sont jamais au centre de l’attention. Radicalement queer, si je devais jouer le jeu, j’ai l’impression que je devrais me dédire, devenir qui je ne suis pas. Je refuse d’avancer masqué.
Je vais essayer de tracer mon chemin, sans trop me soucier des modes. Faire de mon mieux dans la limite de mes capacités (l’écriture n’est pas mon activité principale, il est déraisonnable de se comporter comme si c’était le cas).