Journal de mars 2023

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Lundi 27 mars

Le poète Tyler Knott Gregson demande dans sa newsletter : Is social media the byproduct of human beings becoming more and more selfish, OR, is the fact that human beings are selfish the reason why social media was created at all?

Sa réponse est que l’être humain est égoïste et qu’il faudrait que nous arrêtions de diaboliser l’outil ou la technologie (= les réseaux sociaux).

*

Moi aussi, je me suis posé la question ces dernières années, mais ma conclusion est quelque peu différente :

Je suis convaincu que l’être humain est bon (cf. Humanité, une histoire optimiste de Rutger Bregman), mais il a un sérieux problème. C’est un être grégaire qui préfère croire à des histoires plutôt que de regarder la réalité telle qu’elle est. Il cède facilement à la pression du groupe. (Si ses amies affirment que x est l’ennemie, x sera l’ennemie ; il devient acceptable de la tuer – métaphoriquement ou littéralement). Il perd facilement de vue ce qui fait son humanité.

Les réseaux sociaux nous manipulent pour nous vendre de la publicité. Notre cerveau comprend très vite que pour avoir des likes, des retweets et autres boosters de dopamine, il faut s’exprimer d’une certaine manière. Il est de bon ton d’être furieuse, violente ou pessimiste. 

Par exemple, tout le monde reconnaît que Twitter est toxique, mais la majorité reste sur Twitter car c’est là que les gens (les amies, la famille, sa tribu) se trouvent. L’expérience est mauvaise, nous ne nous y sentons pas bien, mais nous revenons, encore et encore, non pas parce que nous sommes égoïstes, mais parce que nous sommes des êtres sociaux. 

Les RS ont été créés pour mettre les gens en contact sans se soucier de la distance qui les sépare… ils sont devenus ce qu’ils sont parce qu’il fallait monétiser ce produit. Pour obtenir le maximum d’engagement, les créateurs de ces espaces ont manipulé nos réactions. Il est devenu acceptable de faire des choses qu’on n’aurait pas acceptées dans la vie réelle. Ils ont modifié les histoires que nous nous racontons pour satisfaire les intérêts d’une minorité. 

Ces gens-là sont-ils assoiffés d’argent ? Bien sûr. 

Toutefois, les RS que nous avons de nos jours n’ont pas été créés à l’image de l’être humain. Leurs effets sur nos sociétés sont réels, mais ne cédons pas au misérabilisme ambiant qui voudrait nous faire croire que l’être humain a tous les défauts du monde, que sa nature est vicieuse et ne changera donc jamais. 

Nous pouvons décider de nous focaliser sur la violence et la cruauté humaines : nous les verrons s’exprimer partout ; elles existent bien, il ne sert à rien de le nier. Chaque jour, une industrie entière (les médias) fait son beurre en nous montrant les pires horreurs qui existent sur Terre. 

Mais il nous suffit d’ouvrir les yeux et d’observer sans préjugés pour voir tout autant, sinon plus, d’actes de bienveillance et de gentillesse, souvent même entre gens qui ne se connaissent pas.

Puisque nous sommes incapables de voir la réalité telle qu’elle est et que nous avons besoin de nous raconter des histoires (c’est ainsi que nous sommes faites), laquelle va-t-on accepter de croire ? 


Mardi 28 mars

« Faire sens » a été le premier anglicisme que j’ai fait, et ce, très peu de temps après mon installation à Londres. 

Plus d’une décennie plus tard, c’est tellement ancré dans ma cervelle qu’il me faut faire un effort conscient afin de trouver l’équivalent correct en français (avoir du sens, prendre du sens, etc.). Et même quand j’emploie la bonne expression, mon intuition de la langue me souffle que « faire sens », c’est quand même mieux. (Un signe que je ne peux plus faire confiance à mon « oreille interne », car elle me trahit de plus en plus souvent.)

J’apprends que je ne suis pas le seul à l’employer. Toutes mes sources affirment que dire « faire sens », ça « pose problème » (une autre expression qui désespère les prescriptivistes et les représentantes du bon usage).

Les Québécoises ont remarqué l’influence de l’anglais « make sense » (elles emploient faire du sens) et classent l’expression dans les « emprunts syntaxiques ».

Le Figaro, pour sa part, semble ignorer ce lien avec l’anglais (parlent-ils seulement anglais ?) et n’explique même pas que l’expression se trouvait déjà en moyen français au sens d’« agir sensément ». 

Toutes s’accordent pour déconseiller l’usage de faire sens/faire du sens. Soit. Nous verrons qui l’emportera au final : l’usage ou la prescription.


Mercredi 29 mars

De nos jours, si on veut écrire de la fiction, on a accès à de nombreux conseils sur internet ou dans les librairies. Tout est expliqué, analysé, glosé. Tout se contredit, évidemment.

Le conseil, qui me semble le plus pernicieux, peut-être parce qu’il est vrai dans une certaine mesure, est celui qui touche à la professionnalisation de l’écriture. On dit à l’amatrice qu’elle doit se comporter comme une pro afin de le devenir. Si elle veut réussir dans son art, elle doit y consacrer beaucoup d’énergie, développer des compétences de haut niveau, considérer ce passe-temps comme son métier principal (mais ce n’est pas celui-là qui paiera ses factures et la fera vivre). Toute trace d’amateurisme dans sa pratique augmentera les risques d’échec. 

Simplifié, le raisonnement est celui-ci : si elle ne prend pas l’écriture au sérieux, comment l’écriture pourrait-elle la prendre au sérieux ?

Les réalités du métier sont telles que seule une petite minorité parviendra à vivre de sa plume : mal en plus, car, à moins d’être l’exception qui confirme la règle (Musso, Dicker, Da Costa, Grimaldi…), l’écriture ne paie pas (l’argent est là, mais il va dans d’autres poches que celles de l’autrice).

Pour devenir Musso ou Grimaldi, il est évident que l’amateurisme n’a pas sa place dans nos pratiques. Toutefois, se comporter comme une pro de l’écriture ne garantit pas plus qu’on sera le prochain Musso. D’ailleurs, les statistiques sont contre nous : la majorité va échouer, peu importe le temps et l’énergie qu’elle y aura consacrés.

Du coup, en prenant en compte le contexte dans lequel nous évoluons, est-ce que ce type de conseils est raisonnable ? Non. 

Peut-être, le meilleur conseil pour notre bien-être et notre épanouissement sur le long terme serait de rester dans la sphère de l’amateurisme le plus longtemps possible. Non pas dans le sens où nous devrions nous satisfaire de notre médiocrité (l’amatrice vs la pro), mais dans le sens premier du terme : l’amatrice, celle qui aime. Dans le contexte actuel, il serait plus sage que nous apprenions à aimer le processus lui-même, l’acte d’écrire, car c’est la seule joie, le seul succès qui nous sera garanti. 

Mais si nous sommes incapables de l’aimer (dans les mauvaises conditions, l’écriture peut être une torture), le meilleur conseil que l’on puisse nous donner, le plus bienveillant, est celui d’aller voir ailleurs.


Jeudi 30 mars

Ajout à mes remarques d’hier :

L’amateurisme nous permet aussi de refuser toute concession avec les réalités du marché si nous en avons envie : puisque nous ne gagnons pas notre vie avec nos écrits, pourquoi devrait-on écrire dans tel genre plutôt que tel autre, de telle ou telle manière ?

Nous faisons ces concessions parfois de manière inconsciente, pensant que nous serons lues davantage si nous produisons ce que le marché ou la société réclament.

L’amateurisme n’est pas une excuse pour produire des textes de mauvaise qualité. Face au pro qui doit faire le nécessaire pour gagner sa vie, l’amatrice peut dire : j’écris ce texte pour me faire plaisir, même si peu de personnes ne voudront le lire et qu’il ne rapportera aucun centime. Elle accorde davantage de valeurs à son épanouissement d’artiste qu’aux desiderata du marché. Elle peut être tout aussi exigeante et ambitieuse que la pro, mais le rapport qu’elle entretient avec son art est différent (pas nécessairement mieux, simplement différent).

Peut-être aura-t-elle un jour assez de chance pour devenir pro (car il s’agit toujours d’une question de chance, même quand on a travaillé aussi dur que la collègue pour y arriver), mais en attendant, l’enjeu est ailleurs, le regard porté sur sa pratique est différent.

Dans un monde qui veut nous faire croire que tout peut devenir un side hustle (activité secondaire lucrative) et qu’il faut donc avoir une mentalité entrepreneuriale dans tous les aspects de notre vie, il est temps que nous redorions le blason de l’amateurisme.


Vendredi 31 mars

Pour les Récits Péninsulaires, j’ai repris ma lecture du Voyage d’une Parisienne à Lhassa d’Alexandra David-Néel (1868-1969) et j’en ai profité pour lire sa notice biographique sur Wikipédia : quelle vie incroyable, hors du commun !

J’admire ces femmes indépendantes (Yourcenar en fait partie) qui ont voyagé à travers le monde jusque dans leur vieil âge, vivant aux marges du patriarcat durant ces époques où l’on attendait de la femme qu’elle demeure à la maison. Quelle force de caractère fallait-il avoir pour tracer son propre chemin ! 


Dimanche 2 avril

Je viens de prendre l’abonnement Premium de ProWritingAid : j’ai envie d’améliorer mon anglais à l’écrit. 

La fonction Rephrase (en bêta) m’intéresse tout particulièrement ; elle permet de 

1) reformuler ce que j’ai écrit (ce qui est pratique quand mes formulations sont alambiquées ou trop françaises) 

2) traduire directement mon texte du français et proposer différentes versions en anglais. 

Comme c’est en bêta, c’est un peu lent à utiliser : parfait pour une phrase, du ponctuel, mais pas pour un paragraphe ou plus long.

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J’aimerais bien qu’Antidote propose une fonction similaire. (D’ailleurs, je viens de passer à la version 11.)

Je me suis amusé à reformuler des phrases en français avec ChatGPT : le résultat est assez mauvais d’un point de vue stylistique (c’était correct, mais sans oumpf). Au final, j’ai pu utiliser deux ou trois expressions, ce qui est suffisant pour un outil d’aide à l’écriture.