Lundi 13 mars
Jusqu’où le conformisme nous fait-il aller ? Qu’est-ce qui, dans notre vie, relève de nos goûts personnels, de nos choix propres ? Existe-t-il seulement quoi que ce soit qui ne soit pas influencé par la société, la famille, l’environnement dans lequel on évolue (qu’il soit physique ou numérique) ?
Notre liberté réside dans le fait de repérer et de remettre en question ces influences, de les rejeter ou de les suivre en connaissance de cause.
Mardi 14 mars
Nous sortons de la nuit hivernale. Les journées se font plus longues, commencent plus tôt. Je sens mon corps répondre à l’arrivée du printemps. Timidement. L’inquiétude (au sens premier) se met en place, l’humeur change (pas toujours pour le mieux).
C’est aussi la période où je me dis qu’il va falloir se remettre à écrire ; ça grogne et soupire à l’intérieur de moi. J’ai envie sans en avoir envie.
Ne peut-on pas retourner en hiver, quand les journées sont si courtes et si sombres qu’on s’excuse de rester sous la couette ? Non, les saisons avancent sans se soucier de nos préférences et nous les suivons, parfois avec un peu de retard, à contrecœur.
Mercredi 15 mars
Pourquoi n’existons-nous que dans le regard d’autrui ? N’est-il pas suffisant d’être soi-même pour soi-même ? La poursuite de la gloire (sous toutes ses formes) ne nous apporte que le malheur. Nous sommes frustrées quand nous ne l’avons pas ; nous avons peur de la perdre quand nous l’avons atteinte. C’est une course sans fin. Il serait tellement plus simple de rester sur la ligne de départ… mais, même quand on sait qu’elle ne nous rendra pas heureuses, notre instinct, l’animal social en nous, se met en mouvement. Il court, il court. Regardez-moi, regardez-moi ! Il se désespère d’attirer l’attention des amis, des parents ou de la société plus largement.
Comment cet être social peut-il espérer connaître le bonheur dans une société qui voue un culte à l’individualisme ?
Jeudi 16 mars
Le plus grand scandale de l’existence, c’est de n’avoir qu’une seule chance. Une vie, et c’est tout.
Je comprends que de nombreuses sociétés à travers les siècles aient cru à la réincarnation. Moi aussi, je suis tenté d’y croire.
C’est peut-être à cause de mon esprit de compétition : je déteste (avoir l’impression de) perdre. Et il semble qu’au jeu de la vie, on n’en comprenne les règles que trop tard. (D’autant plus dans nos sociétés en mouvement où les règles changent sans qu’on nous ait prévenues.)
Ne serait-il pas merveilleux d’avoir plusieurs chances comme dans un jeu vidéo ? Une vie, on essaye ceci ; dans une autre, cela. On change le lieu, le temps, le milieu dans lequel on naît… et on essaye de faire mieux, pas simplement de faire au mieux.
Mais quand on a une seule chance, c’est facile de tout foirer. Mal faire, ou pire, ne rien faire. Gâcher une existence entière. Sa vie. La seule que l’on ait. Courir après des fantasmes, des fantômes. Perdre de vue l’essentiel (si seulement on sait ce qu’est l’essentiel…).
Vendredi 17 mars
L’engagement politique semble inévitable quand on voit le comportement de nos élues et de nos gouvernantes qui semblent oublier qu’elles représentent les intérêts de la nation, et non ceux d’une ploutocratie internationale. En France, comme au Royaume-Désuni, elles oublient que nous vivons en démocratie et que nous devons nous efforcer de vivre en accord avec ces principes démocratiques.
(Tout passer en force n’est pas le signe d’une saine démocratie, n’est-ce pas M. Macron ?)
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Nous assistons à une montée de l’autoritarisme sur nos rivages mêmes.
Little England est aux mains de l’extrême droite fasciste, devenue tellement mainstream qu’on l’appelle simplement « conservatrice ». Comment expliquer Suella Braverman autrement ?
Le langage utilisé dans le discours politique et médiatique rappelle bien ce qui se disait un siècle plus tôt en Allemagne. Comme beaucoup de gens le font remarquer, Auschwitz n’est pas arrivé du jour au lendemain, sans crier gare. On commence par déshumaniser certaines catégories de la société (les étrangères, les trans, les pauvres, les handicapées, les opposantes politiques, etc.). On fait d’elles des monstres dangereux qu’il faudra un jour exterminer. Ce qui n’était pas convenable hier le deviendra demain.
Nous ne pouvons pas accepter de revenir sur ces territoires-là, d’être à nouveau cette majorité silencieuse qui désapprouve, mais ne fait rien.
Dimanche 19 mars
Je reçois la version longue de ce texte (voir ci-dessous) dans mes messages WhatsApp. Je la lis à peine sorti du lit (première erreur). Je suis pris d’une colère noire devant tant de stupidité (deuxième erreur). Il y a tellement d’affirmations fausses dans ce texte que je ne sais pas par où commencer.
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« La disparition progressive des temps (subjonctif, passé simple, imparfait, formes composées du futur, participe passé…) donne lieu à une pensée au présent, limitée à l’instant, incapable de projections dans le temps.
La généralisation du tutoiement, la disparition des majuscules et de la ponctuation sont autant de coups mortels portés à la subtilité de l’expression.
Supprimer le mot “mademoiselle” est non seulement renoncer à l’esthétique d’un mot, mais également promouvoir l’idée qu’entre une petite fille et une femme il n’y a rien.
Moins de mots et moins de verbes conjugués c’est moins de capacités à exprimer les émotions et moins de possibilités d’élaborer une pensée.
(…)
Il n’y a pas de pensée critique sans pensée. Et il n’y a pas de pensée sans mots.
Comment construire une pensée hypothético-déductive sans maîtrise du conditionnel ? Comment envisager l’avenir sans conjugaison au futur ? Comment appréhender une temporalité, une succession d’éléments dans le temps, qu’ils soient passés ou à venir, ainsi que leur durée relative, sans une langue qui fait la différence entre ce qui aurait pu être, ce qui a été, ce qui est, ce qui pourrait advenir, et ce qui sera après que ce qui pourrait advenir soit advenu ? (…) » (Christophe Clavé)
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Okay, boomer.
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Le subjonctif… un temps de la langue française ! Comment peut-on se plaindre de la baisse du niveau général et confondre soi-même temps et mode ?
Comme je vis à l’étranger, j’ai dû rater le mémo qui annonçait la disparition, entre autres, de l’imparfait et du participe passé. (Ce qui doit expliquer pourquoi j’utilise un imparfait dans cette phrase.)
Incroyable. Mais, mais… comment va-t-on former le passé composé si le participe passé n’existe plus ? Appelez-moi le Président, on doit vite passer un 49.3 sur l’usage des participes. Il faut rassurer les marchés.
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On ne supprime pas un mot ; on cesse de l’utiliser (parfois temporairement ou dans le sens qu’on lui connaissait). Parce qu’il ne correspond plus au goût du jour. Vouloir garder à tout prix une distinction entre « mademoiselle » et « madame », quand l’équivalent masculin n’existe plus depuis longtemps, n’est-ce pas vouloir perpétuer une certaine vision de la société ? Celle qui veut que la femme, pour devenir une femme, passe obligatoirement par le mariage ?
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On peut très bien réfléchir sans conditionnel. Les Chinoises ou les Thaïlandaises, pour ne citer qu’elles, semblent parfaitement être capables de raisonner. Pourtant, il n’y a pas de conditionnel en Mandarin ou en Thaï…
De même qu’il n’y en a pas plus en latin, la langue qui a donné naissance à la nôtre. Doit-on pour autant en conclure que les Romaines étaient stupides, ne pouvaient pas penser droit ?
Vous me direz que c’est certainement la raison pour laquelle on laissait la philosophie aux Grecques. Malheureusement, le Grec ancien n’avait pas non plus de mode conditionnel dans son arsenal linguistique. Damn.
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On peut envisager l’avenir sans conjugaison au futur : on le fait même en français, dis donc. « Demain, je vais manger chez ma mère, puis je vais rendre visite à Tonton Christophe. » On n’a pas besoin d’un verbe au futur pour comprendre l’idée de futur, dummy.
Et puis, qui a dit qu’on n’employait plus le futur en français contemporain ? D’où est-ce que ça sort ? Encore ce fichu mémo que je n’ai pas reçu.
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Bref, quand on veut tenir un argumentaire sur la langue, c’est bien d’en connaître d’autres, même superficiellement… ça désangoisse pas mal.
Ça permet de prendre un peu de recul : peut-être que le français ne se perd pas, mais se transforme tout simplement… Comme dirait ce neuneu d’Anaxagore de Clazomènes, philosophe présocratique qui ne connaissait rien du mode conditionnel français : « Rien ne naît ni ne périt, mais des choses déjà existantes se combinent, puis se séparent de nouveau. »
Si d’autres civilisations ont pu réfléchir (ou pour reprendre une expression un peu pompeuse, ont démontré qu’elles pouvaient « construire une pensée hypothético-déductive ») sans les outils linguistiques propres au français, peut-être que les Françaises des générations futures s’en sortiront tout aussi bien si elles venaient à les égarer.