Journal de février 2023

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Lundi 20 février

Alors que l’âge me fait entrer, lentement mais sûrement, dans la catégorie des vieux cons, il m’est de plus en plus difficile de regarder toute innovation technologique avec cet émerveillement qui caractérise le plus souvent la jeunesse. 

Les avancées dans le domaine des Intelligences Artificielles impressionnent, mais leurs besoins énergétiques sont tout aussi impressionnants, voire inquiétants, surtout dans le contexte de la crise climatique. 

S’il y a des domaines, comme la médecine, où ces avancées sont les bienvenues ; je doute que ChatGPT, intégré à Bing pour nous divertir et renforcer notre flemme, puisse être considéré comme un progrès technologique bénéfique.

Nous sommes à l’aube d’une énième révolution technologique (la quatrième ?) à un moment de notre Histoire où les inégalités se renforcent, où la planète surchauffe et étouffe déjà.

Si ce que l’on prédit est vrai (= les IA mettront des pans entiers de la société au chômage), il serait peut-être temps que nos gouvernantes s’assurent qu’un système de redistribution équitable des richesses soit mis en place… 

Pour le moment, on veut nous faire travailler plus, plus longtemps… tout en nous prédisant qu’on finira par perdre notre emploi rémunérateur (et qu’on aura du mal à en trouver un autre). Il est facile d’imaginer la dystopie qui va s’ensuivre.

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Au fond, l’IA n’est qu’un outil. C’est l’usage qu’on en fait qui détermine si c’est un bon ou un mauvais outil. 

Malheureusement, je ne fais pas confiance à notre élite dirigeante pour penser au bien être de notre société… car si elle nous était bienveillante, nous travaillerions deux ou trois jours par semaine, les inégalités seraient réduites au maximum et nous aurions diminué drastiquement nos émissions de CO2 depuis une décennie (au moins).


Mardi 21 février

Dans sa newsletter d’hier, Nat Eliason affirme que le bon style (ce qu’il nomme « great writing ») est invisible. 

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(C’est en écrivant cette phrase que je m’aperçois que l’expression « great writing » doit être adaptée pour passer dans notre langue. Comme je suis Français, le mot auquel je pense immédiatement est style – le miroir aux alouettes des lettres françaises. Je prends ici le mot dans son acception large : le style est notre manière de présenter les choses, pas seulement le vocabulaire ou la syntaxe que l’on utilise.)

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Son texte est très intéressant, car ce qu’il essaye de définir n’est pas définissable. 

Bon (great writing) et mauvais (bad writing) sont des notions subjectives. Ce que je considère bon peut facilement être mauvais aux yeux de ma voisine, et vice versa. 

La seule conclusion qui s’impose est la suivante : un style n’est bon que parce qu’il est adapté au goût de son lectorat.

Ce qui n’avance pas beaucoup l’écrivaine quand elle doit écrire son texte… (La pirouette finale de Nat Eliason est de dire que c’est à ce moment-là que l’Art entre en scène…)

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Pour se prétendre utiles, les conseilleuses se replient sur des éléments plus objectifs : par exemple, l’utilisation des adjectifs, la fréquence des adverbes, le choix des points de vue et des temps du récit. L’arbitraire adopte les oripeaux de l’objectivité… et parfois, je dois l’avouer, leurs discours me convainquent. 

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À mes yeux, un bon style est tantôt invisible (= il n’y a rien qui heurte ma sensibilité de lecteur), tantôt élégant (= je sens la finesse d’esprit de l’autrice à travers le choix de ses mots ou de l’agencement de ses arguments). Mais il est surtout adapté aux finalités du texte : l’essentiel, c’est que ça fonctionne. Et tout est bon pour que ça soit le cas : s’il faut briser une ou plusieurs « règles », ainsi soit-il.

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Seule la vaste expérience de l’autrice lui permet de déterminer ce qui constitue un bon style. 

Du coup, quand on conseille les débutantes, je comprends que l’on puisse affirmer que le (bon) style n’existe pas (notons que ces mêmes personnes ont un discours identique quand elles parlent du talent). C’est peut-être plus honnête que de débiter des règles arbitraires qui peuvent être infirmées en ouvrant le premier livre qui nous passe sous la main.

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Dernier point intéressant de la newsletter : l’idée que le style participe de l’hallucination qu’est l’acte de lecture, et que rien ne devrait aller contre cette hallucination.

Et pour ne pas rompre une hallucination, il faut se faire le moins visible possible. CQFD.


Mercredi 22 février

Dans le second tome du Dernier Héraut-Mage, il y a tout un chapitre dans le lequel Lackey s’efforce de dissocier homosexualité et pédophilie. 

Rentré dans sa famille, Vanyel s’énerve, à juste titre, du fait que son entourage le soupçonne de vouloir séduire les petits garçons et les jeunes adolescents (il est un héraut, for goodness’ sake !).

La lectrice du XXIe siècle peut sentir les « débats » sur l’homosexualité qui agitaient les années 80-90 et la volonté de l’autrice de démonter les clichés un par un à travers toute cette trilogie : l’homosexuel est un homme qui éprouve des sentiments pour un autre homme, pas un satyre qui sauterait sur tout ce qui ressemble à un mâle (ou un mâle en devenir) de près ou de loin.

Ma première réaction a été de trouver tout cela un peu vieillot et de me dire : le monde a quand même bien évolué depuis ! 

Puis, j’ai pensé à ce qui se dit sur les réseaux sociaux, le renforcement du conservatisme aux États-Unis et ailleurs, et je réalise que pour certaines, ces débats-là sont toujours d’actualité. On a peut-être décalé la cible : des homos, on est passé aux trans, mais les craintes délirantes sont les mêmes. « Les queers sont des violeuses qui veulent pervertir nos enfants. »

Trois décennies plus tard… What a sobering thought.


Jeudi 23 février

Je me suis promis de tenir ce « journal ouvert » durant trois mois, au minimum. À mi-parcours, je commence déjà à penser à l’après. Continuer ? Ne pas continuer ?

Je n’ai pas encore à subir ces « à quoi bon ? », ces pensées démoralisées et démoralisantes qui finissent invariablement par pointer le bout de leur nez quand je travaille sur un projet dans la durée. 

J’aime l’idée d’une œuvre qui se construit au petit bonheur la chance, chaque jour un peu plus, sans plan ni préméditation, sans autre exigence qu’une écriture quotidienne. 

Une œuvre brute. Sans fard. 

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J’aime appuyer sur le bouton Publish  ; ça me procure le même plaisir que lorsque je poste sur les réseaux sociaux. Mais comme je ne sais pas qui me lit, si on me lit même, ni en quel nombre, j’éprouve une sorte de paix intérieure. Courir après les likes & les retweets, ce qu’on nomme ici « the engagement », nourrit ma part d’ombre et me rend malheureux.

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Ce journal, c’est l’équivalent d’un blog, c’est un Twitter amélioré (pas de limite de caractères ; pas de débats toxiques)… C’est un safe space où je peux prendre le temps de la réflexion et mesurer la solidité de certaines opinions – ce qu’il est impossible de faire sur les réseaux sociaux. (Peut-être Substack le permettra, un jour. Je sens leur désir de devenir un réseau social et pas seulement d’être une plateforme de publication/newsletter.)


Vendredi 24 février

Magic’s Promise est le roman de la transition, de l’entre-deux (une affirmation qui pourrait s’appliquer à tous les seconds tomes d’une trilogie). 

Il n’est pas sans maladresses, ce qui, en tant qu’auteur, me rassure beaucoup. Il n’y a rien de pire qu’un roman qui soit parfait, surtout dans les genres que j’écris : ça me fait me sentir tout petit.

La solitude de Vanyel pourrait être agaçante si elle ne se justifiait pas aussi bien… Ce n’est pas parce qu’il est gay qu’il est condamné à cette vie de sacrifice (ce qu’une lecture superficielle avec un peu de mauvaise foi laisserait penser). Ce n’est pas « un de ces romans » où la sexualité du personnage dicte la fin misérabiliste de l’histoire. Non (quoique… ?). C’est parce qu’il est le Héraut-Mage le plus puissant de Valdemar que sa destinée est aussi sombre.

Quand la Mort lui donne le choix entre le repos éternel et une vie de douleurs et de solitude, il décide de retourner parmi les vivantes afin de les aider, malgré son envie d’en finir. Même pas trente ans et déjà usé jusqu’à la corde…

Ce pathos, qui ne se cache pas, est ce qui fait la force des romans de Lackey. Les hérauts sont prêtes à se sacrifier pour le bien de la communauté. Figures christiques, par excellence ; leur mort, à l’image de leur vie, acquiert une signification profonde.


Samedi 25 février

Cela fait quelques années que je suis fasciné par les « réincarnations » des lamas tibétains. 

Les tulkous, comme on les nomme, ont des destinées romanesques : ils (car ce sont le plus souvent des hommes) sont choisis dès le plus jeune âge pour devenir des personnalités religieuses exceptionnelles.

Mais le mot « réincarnation » est erroné, car il laisse supposer l’existence d’une âme immortelle… Or, pour les bouddhistes, l’égo est une illusion ; l’âme n’existe pas. Du coup, qu’est-ce qui se réincarne ?

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Le mot savant pour réincarnation est métempsycose (je préfère l’orthographe métempsychose, for obvious reasons). Il désigne le transfert d’âme d’un corps à un autre… La métempsycose, c’est la croyance que l’âme (éternelle) est vagabonde. 

Dans le cas qui m’intéresse, on parlera de métensomatose pour les lamas tibétains. 

Si la ψυχή, c’est l’âme ; soma (σωμα), c’est le corps. 

Si j’en crois Wikipédia (béni soit Wikipédia), métensomatose signifie « déplacement du corps spirituel ». 

Apparemment, la différence est de taille, mais j’ai du mal à la comprendre. (C’est le genre de nouveau concept qu’il faut lentement digérer.) 

Avec la métensomatose, le lama ne semble pas se souvenir de ses anciennes vies. Son apprentissage ne se fait donc pas grâce à ces souvenirs, mais par la pratique spirituelle et l’introspection. Qu’est-ce qui fait qu’il est la « re-naissance » d’un lama antérieur ? Peut-être une manière identique de penser, des valeurs communes, etc.

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J’ai l’impression que cette métensomatose est l’équivalent spirituel de la génétique : de même que les parents passent une partie de leurs gênes à leurs enfants, le lama transmet une partie de son bagage spirituel, sa nature, à un autre corps. (Je place ici un énorme point d’interrogation.)


Dimanche 26 février 

Dans les Récits Péninsulaires, il y aura des « réincarné.es ». Pour faire simple, je supposerai que l’âme est bien éternelle et vagabonde… Je mettrai la métensomatose et les tulkous de côté, même s’ils sont à l’origine de l’idée.

C’est déjà bien assez compliqué d’avoir des réincarnées, des immortelles (qui peuvent mourir) et des Rêveuses (qui ne rêvent pas). La lectrice me sera certainement reconnaissante si l’âme de mes Réincarné.es se réincarne.

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Il m’est difficile de dissocier réincarnation et spiritualité (ou religion). 

Je me surprends à vouloir faire d’Alexandre Ambronne un futur chef spirituel, ce qui est absurde. 

Sa cousine Maeve, oui, absolument… mais Alexandre n’a pas l’étoffe d’un chef spirituel… à moins que, tout comme le Bouddha, il soit coincé dans sa phase hédoniste quand nous le rencontrons pour la première fois. 

(Je pense que, dans les RP, les réincarnations sont liées à une forme de magie élémentale. Réincarnation d’anciennes mages puissantes plutôt que de cheffes spirituelles, même si l’une n’exclut pas l’autre.) 

Peut-être Alexandre deviendra-t-il ce chef spirituel, aussi improbable soit-il (je n’ai jamais pensé à ce que lui et ses cousines deviendraient en grandissant), mais, à 18 ans, il est décidé à profiter des plaisirs de la vie. 

En un mot, c’est un queutard. 

(En tout cas, c’est ainsi que Corydon devrait le percevoir.)