Journal de février 2023

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La version intégrale (fautes et anglicismes inclus) est disponible dans mon jardin numérique, Sylves. La publication s’y fait au jour le jour.

Au fait, j’emploie le féminin générique.

Bonne lecture – Enzo.


Mardi 31 janvier

Je découvre aujourd’hui l’existence du plus vieux poème lesbien en langue écossaise, daté du XVIe siècle. Le poème 49 du Maitland Quarto, certainement écrit par Marie Maitland.

L’article décortique les mécanismes de l’hétéronormativité à l’œuvre, aussi bien dans l’écriture du poème que dans sa réception. L’universitaire montre comment un poème qui décrit clairement une passion lesbienne est interprété, durant des siècles, comme étant un banal poème sur l’amitié entre deux femmes.

En la lisant, on comprend facilement comment, encore de nos jours, l’amour queer est invisibilisé, déclassé au rang de la simple amitié. Les exemples abondent et le Twitter queer les relève assez souvent : on dirait une running joke (la « très bonne amie » de machine, les « colocataires » de la Villa dei Vettii, etc.). Imaginer qu’il puisse y avoir davantage qu’une simple amitié sent encore le soufre.


Mercredi 1er février

Évidemment, nous autres queers, nous nous voyons partout dans le passé… mais si la société commençait à nous y voir aussi, peut-être que nous cesserions de nous projeter quand ce n’est pas nécessaire. 

Car il est vrai que les amitiés masculines ou féminines ne sont pas toujours des amours homosexuelles, et que les codes du passé ne sont pas ceux du présent : l’affection en public entre deux amies n’est pas obligatoirement le signe d’une passion homosexuelle. Ce qui est louche aujourd’hui (ce qui titille notre gaydar) ne l’était peut-être pas plusieurs siècles plus tôt. 

Mais nous ne pourrons pas avoir un discours sain sur le passé (si tant est que ça soit seulement possible) si nous ne nous débarrassons pas des euphémismes mis en place par le XIXe siècle bourgeois et perpétués durant le XXe siècle. Une « amie » (wink, wink) n’est pas une amie, c’est une amante.


Jeudi 2 février

Mes morning pages me donnent la clarté nécessaire pour avancer mes projets au quotidien. Je ne les utilise pas comme Julia Cameron le préconise ; ma page n’est pas une décharge où je déverse tout ce qui encombre mon esprit. Sans filtre. 

Je le fais parfois, évidemment, mais je préfère orienter mes pensées, prendre le temps de trouver des solutions et circonscrire ma négativité et mon misérabilisme naturels. Ça fait du bien de se plaindre, mais je ne veux pas entretenir ces voies neurales : les morning pages peuvent très vite renforcer certaines pensées négatives.

Ces pages écrites au réveil sont devenues une sorte de thérapie légère, où je me force à voir mes « problèmes » sous un angle plus positif, ou, en tout cas, différent. C’est certainement la seule contrainte que je m’impose. Pour le reste, ça part dans tous les sens ; ça suit le fil de mes pensées ; c’est écrit dans un franglais bourré de fautes ; et ce n’est pas destiné à être relu par moi ni à être partagé avec d’autres. 

Si un jour, je fais un feu de joie, ces morning pages seront les premières à partir en fumée.


Vendredi 3 février

Lors des jours de grand vent, mes deux chattes passent des heures entières à la fenêtre du salon à regarder les feuilles s’envoler dans le jardin. Dès que ces dernières menacent de s’écraser contre la fenêtre, Lou & Mercutio se précipitent à leur tour, semblant oublier qu’une vitre les sépare constamment du monde extérieur. Bim, bam, boum. C’est un vacarme sans fin. Mais le résultat est toujours le même : les feuilles se dérobent, la vitre ne cède pas ; meurtries, mes félines se remettent immédiatement en position en espérant que la prochaine fois…

 * 

Je les regarde faire avec une attention mi-moqueuse, mi-incrédule. Combien de temps leur faudra-t-il avant de tirer les leçons qui s’imposent ? Elles n’ont jamais pu attraper une seule feuille de cette manière. Pourquoi perdre leur énergie de la sorte ? Pourquoi faire preuve d’une telle assiduité quand leur expérience de la réalité leur a démontré que l’échec était inévitable ?

Quand Mercutio heurte violemment la fenêtre avec tout le sérieux d’un chat concentré sur sa proie, je ne peux m’empêcher de ricaner… jusqu’à ce que je me rappelle que je ne suis guère différent de lui. N’ai-je pas acheté à l’instant mon billet de loterie hebdomadaire ?


Samedi 4 février

Je n’écris ni de la même manière ni la même chose quand je suis reposé ou quand j’ai mal à la tête, quand je suis au clavier de mon MacBook ou celui de mon iPad.

— La mécanique du texte, de Thierry Crouzet

Mon style était plus travaillé quand j’écrivais sur du papier. Il fallait former sa phrase dans sa tête ; elle était déjà éditée plusieurs fois avant que les mots ne soient couchés sur les pages du carnet. Le clavier change notre rapport aux mots et aux idées : on les essaye à mesure qu’on les conçoit. Si ça ne fonctionne pas, on efface un bout et on recommence. 

Mes notes sont le plus souvent manuscrites : je me souviens mieux de ce que j’écris à la main. Mes textes plus longs sont écrits sur ordinateur ou sur l’iPad (comme ce journal). 

Pour la poésie, je retourne au papier : je préfère réintroduire de la friction dans mon processus créatif et prendre mon temps. (Taper un poème court à l’ordinateur me donne une occasion de l’éditer à nouveau. S’il était long, peut-être le premier jet se ferait-il sur l’ordi.) 

En fin de compte, l’outil le plus adéquat est celui qui permet d’obtenir le plus de son écriture en investissant le moins (d’effort) possible.


Dimanche 5 février 

Le travail devrait d’ailleurs former sa propre récompense. Ce qui compte, c’est le processus avant le résultat, car on ne pratique QUE le processus, et se concentrer sur le résultat, l’accueil, la publication, c’est se tromper fondamentalement de jeu. 

(Lionel Davoust)

Après être passée par l’école et l’université, est-il possible d’arriver à l’écriture parce qu’on aime le processus ? Souvent, l’apprentissage formel qu’on a reçu nous fait détester la pratique elle-même. Il nous faut des années pour réintroduire de la joie là où l’on nous a souvent dit qu’il ne devait y avoir que de la souffrance.

Je suis venu à l’écriture pour les mauvaises raisons : the end-result, la publication, la gloire qui couronne le front ensoleillé des autrices (c’est en tout cas ce qu’on s’imagine quand on est lectrice, méconnaissant la réalité du métier).

Durant de nombreuses années, j’ai détesté écrire, mais j’adorais avoir écrit. J’adorais l’idée d’écrire. 

Mais rêver d’écriture n’est pas écrire. On ne devient écrivaine qu’en écrivant.

Petit à petit, j’ai me suis efforcé de prendre davantage de plaisir à l’écriture elle-même. Pour cela, je me suis mis à la romance, j’ai introduit des protagonistes gays ; j’ai décidé d’écrire comme j’en avais envie et non pas comme on me demandait (/je me demandais) de le faire. 

Pourquoi se torturer et être malheureuse ? Nous n’avons qu’une vie ; il n’y a pas de seconde chance. L’épanouissement est impossible à trouver quand nous agissons pour les mauvaises raisons.