Journal d’avril 2023

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Lundi 17 avril

Se rappeler, encore et encore, que Twitter n’est pas le monde, que ce n’est pas la réalité. Que ce qui s’y dit n’est qu’un écho déformé, voire une hallucination. 

Se rappeler aussi que la folie américaine n’est pas la folie européenne, que leurs problèmes ne sont pas nécessairement les nôtres. 

Ne pas confondre, ne pas confondre.

Ne jamais oublier que chaque tweet à un contexte : âge, sexe, lieu, éducation, religion, santé mentale (de celleux qui le composent). Sans ces informations, il est impossible de juger de sa validité.

Ne jamais oublier que ces milliards d’avis, de grognements et de cris de joie polluent l’esprit, l’égratignent, le rendent fou petit à petit.


Mardi 18 avril

J’aurais voulu avoir une vie plus riche… mais je ne me sens bien que dans la routine la plus confortable. Une inquiétude se forme aussitôt que je dois faire quelque chose. J’ai modelé mon existence de manière à cultiver la paix intérieure : comme je me prends facilement la tête, j’évite tout ce qui pourrait aggraver mon tempérament anxieux.

Je voudrais être zen, traverser les aléas de la vie avec calme et patience, mais je ne fais que retirer le sel de la vie. Ne demeure qu’une existence assez fade, passée à scroller Twitter (bitter-sweet addiction).


Mercredi 19 avril

Pour comprendre la différence entre tempérament et personnalité, imaginons une maison et ses fondations. 

Le tempérament, avec ses traits innés et biologiques, sert de fondation à la personnalité : notre bagage génétique nous rend plus introvertis ou extravertis, sensibles ou impulsifs. 

La personnalité, c’est l’ensemble des traits et des comportements que nous avons acquis en réponse aux aléas de la vie (confiance en soi, empathie, résilience, etc.) ; elle inclut le tempérament. 

Puisque nous sommes en vie, elle évolue constamment ; le moi d’hier n’est jamais le moi de demain.


Jeudi 20 avril

Je crois avoir une personnalité un peu trop obsessionnelle, puis je me balade dans le fandom du BL et je me sens mieux : il y a plus obsessionnel que moi. Ma passion semble bien tiède en comparaison.

*

En ce moment, les réseaux sociaux s’affolent au sujet de The Eighth Sense, la série coréenne boy’s love/queer

L’an dernier, c’était KinnPorsche  ; avant cela, c’était The Untamed

Chacune pour différentes raisons.

La hype est telle que l’objet importe peu : on en arrive à fantasmer la série plutôt que de la regarder avec objectivité. On projette ses émotions et ses attentes sur elle. Toute distance critique semble disparaître. On la remplace par une exégèse quasi religieuse, où chaque détail est analysé, décortiqué, surinterprété. La passion enfle, enfle, enfle, et devient plus importante que la série elle-même.

The Eighth Sense, par ses choix esthétiques et narratifs, se prête bien à cette exégèse.

Mais face à cette hype, je ne peux m’empêcher de m’interroger : à quel point est-ce que j’aime cette série pour ce qu’elle est ? Mon avis positif est-il influencé par ce qui se dit autour de moi ? La différence entre « j’aime » et « j’aime passionnément » s’explique-t-elle par la qualité de l’œuvre même ou par l’excitation qui m’entoure et qui m’affecte ?


Vendredi 21 avril

Me voyant en manque d’inspiration devant mon écran, mon mari veut que j’écrive ici qu’il a le corps d’un dieu grec. 

Voilà. C’est fait.


Samedi 22 avril

Si le peuple vote pour l’extrême droite et l’invite à occuper les plus hautes instances d’une république, s’opposer à cette décision démocratique fait-il de nous des anti-démocrates ? 

Si un choix démocratique met en danger la démocratie et ses valeurs, est-il acceptable de ne pas lui reconnaître sa légitimité ?

J’imagine qu’on peut reconnaître la légitimité d’un vote (et sa stupidité absolue), tout en bloquant les actions du gouvernement qui en est issu. 

Le mieux serait encore de s’assurer qu’on n’arrive pas à ce vote fatidique, mais il semble que le gouvernement actuel travaille activement à mettre l’extrême droite au pouvoir. (Je parle, évidemment, du gouvernement français, car le gouvernement anglais est déjà d’extrême droite depuis quelques années.)


Dimanche 23 avril

C’est en plein milieu d’une longue tirade passionnée sur l’état de la nation française (ou anglaise) que je prends conscience qu’il y a des gens pour qui les discussions politiques sont ennuyeuses. 

*

Depuis des années, D. m’écoute poliment, mais son détachement me montre à quel point certaines personnes préfèrent penser à autre chose qu’aux rouages de nos sociétés. Elles aiment se focaliser sur leur entourage immédiat (leurs ami.es, leurs familles, leur nombril). Elles n’ont pas l’ambition de changer le monde, même si celui-ci les violente et les rend malheureuses. 

En refusant d’imaginer un monde meilleur, en refusant de tout faire pour l’obtenir, elles donnent carte blanche à nos politicien·nes et à nos oligarques : iels sont libres de faire ce qu’iels veulent en toute impunité, et iels façonnent le monde à leur image plutôt qu’à la nôtre.

*

Rien n’est gravé dans le marbre : tout est en constante évolution. Croire qu’on ne peut rien faire à notre petit niveau, ce n’est pas faire preuve de réalisme, mais de défaitisme. C’est abdiquer le peu de pouvoir que l’on détient ; c’est renforcer, au mieux, le statu quo, au pire, des tendances délétères à un moment de notre Histoire où l’action devient une question de survie.