Lundi 03 juin
Je regarde à nouveau Lost Romance, une série taïwanaise de vingt épisodes (1 h 10 chacun), où la protagoniste se retrouve projetée dans une romance. Éditrice et fine connaisseuse du genre, elle décide de séduire l’overbearing CEO en utilisant sa connaissance des tropes romantiques.
C’est exactement ce que j’aimerais écrire : un roman qui est en même temps un commentaire du genre auquel il appartient. Une romance sur l’univers des romances !
Pour relier cette entrée à celle de vendredi dernier, Lost Romance appartient certainement au genre de l’isekai.
Mardi 04 juin
« Les rêves ne sont pas des inventions intentionnelles et volontaires, mais au contraire des phénomènes naturels et qui ne diffèrent pas de ce qu’ils représentent. Ils n’illusionnent pas, ne mentent pas, ne déforment ni ne maquillent ; au contraire, ils annoncent naïvement ce qu’ils sont et ce qu’ils pensent. Ils ne sont agaçants et trompeurs que parce que nous ne les comprenons pas. […] L’expérience montre […] qu’ils s’efforcent toujours d’exprimer quelque chose que le moi ne sait et ne comprend pas. » (C.G. Jung, Psychologie et éducation)
Mercredi 05 juin
De Jung, j’aime son travail sur les symboles, les mythes et les archétypes. Je le préfère à Freud, qui ne m’a jamais emballé. (Trop paternaliste, certainement.)
Un écrivain ne peut qu’être séduit par les recherches de Jung : après tout, la littérature se nourrit elle aussi de cette matière mythique et symbolique.
La seconde partie du livre de Frédéric Lenoir est consacrée à l’exposé de ses idées (anima/animus, synchronicité, persona, le Soi, etc.). Je m’aperçois que j’ai aimé davantage la première partie qui était biographique. Les deux sont bien écrites, dans une langue simple et claire, mais une biographie me parle plus que des définitions et des concepts.
J’ai un gout certain pour la réflexion, comme en témoigne ce journal, mais assez peu finalement pour la théorie, surtout si elle m’apparait déconnectée de la (/ma) réalité. J’éprouve le même ennui que lorsque je lis un texte sur le stoïcisme qui s’efforce d’exposer ce qui en relève et ce qui n’en relève pas. J’aime la philosophie pratique, car elle nous enseigne comment mieux vivre ; je n’aime pas quand la recherche de la sagesse s’enferme dans sa tour d’ivoire.
Jeudi 06 juin
Chaque semaine, invariablement, la newsletter de Courtney Milan me parle. Je n’ai jamais lu ses romans, mais ce qu’elle raconte dans son Weekly Tea semble trouver un écho en moi. J’apprécie cette résonance. Nous avons peut-être une personnalité similaire ; je ne peux pas le savoir : elle vit à l’autre bout du monde.
Aujourd’hui, grâce à elle, j’ai médité sur la place de l’amour inconditionnel dans ma vie. C’est un concept d’autant plus intéressant qu’il m’est étranger. L’homo que je suis ne semble connaitre que l’amour conditionnel : je dois me comporter de telle ou telle sorte pour que la société me tolère (ou m’aime). Même quand je m’émancipe de l’hétéronorme, je ne me débarrasse pas facilement de la vision du monde (et de moi) que j’ai construite sous son joug.
Vivre l’amour inconditionnel, c’est faire l’expérience dans sa chair, dans ses os (et pas seulement en théorie), d’une vérité tellement simple qu’elle en apparait révolutionnaire : être au monde, tel que l’on est, sans avoir besoin de faire quoi que ce soit, est suffisant pour mériter l’amour, non seulement des autres, mais surtout de soi.
Vendredi 07 juin
« Plus la raison critique prédomine, plus la vie s’appauvrit ; mais plus nous sommes aptes à rendre conscient ce qui est inconscient et ce qui est mythe, plus est grande la quantité de vie que nous intégrons. La surestimation de la raison a ceci de commun avec un pouvoir d’état absolu : sous sa domination, l’individu dépérit. » (C.G. Jung, L’Homme et ses symboles)
Samedi 08 juin
Ces dernières années, les œuvres qui m’ont inspiré sont principalement audiovisuelles. C’est encore le cas avec The Atypical Family (sur Netflix). Le scénario est extrêmement bien mené et les personnages attachants. Que demander de plus ? Une version gay, évidemment.
Je passe une grande partie de mon temps à me demander comment traduire de telles histoires.
Traduire… Non pas au sens linguistique, mais aux sens générique et social. Comment passe-t-on de l’écran à la page ? Quels sont les éléments qui doivent changer et ceux qui peuvent rester tels quels afin de produire un effet similaire ?
Mais aussi : comment passe-t-on d’une histoire hétéronormée asiatique à une romance homosexuelle occidentale ? (Il ne me viendrait jamais à l’idée d’écrire un roman qui se passe en Asie si je n’y vivais pas moi-même.) En particulier, que faire des tropes du mariage dans une histoire gay ?
Si j’effectuais toutes ces modifications, est-ce que l’histoire me plairait autant ? Devinerait-on encore la version originale ?
Dimanche 09 juin
Peu importe si l’idée est extravagante ou ridicule à première vue, l’essentiel est de la rendre crédible. L’exécution est donc ce qui importe le plus. La lectrice acceptera l’impossible ou l’improbable tant que l’histoire est bien faite et que tous les éléments du récit vont dans le même sens. C’est ainsi que l’on crée la vraisemblance.
Est vraisemblable ce qui est crédible à l’intérieur du récit. Si le lecteur accepte de suspendre son incrédulité, c’est parce que l’autrice promet une histoire logique qui fait sens…
Dans certains genres (comme la SFFF), cette logique est interne : une école de sorciers dans un Archipel où existent des dragons est vraisemblable seulement si les règles de ce monde (càd le worldbuilding) le permettent. Savoir si une telle école existe dans notre réalité est sans importance : Terremer n’en est pas moins crédible aux yeux du lecteur.
L’erreur, me semble-t-il, c’est de croire que la vraisemblance naît d’une reproduction servile du réel.